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Nouvelles d'ailleurs Fragments d’une vie littéraire

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Tang Yi-Long

Nous sommes tous à Shanghai résidents du bruit. On démolit chaque jour un immeuble vétuste pour construire une tour de trente étages. Depuis 1991, je me souviens de moins de nuits de sommeil que de matins bercés par le bruit des scies à métaux. Shanghai tourbillonne et ce tourbillon n’est pas doux. Je ne connais pas d’écriture de Shanghai qui ne trahisse cette dualité.

Il n’y a pas si longtemps, jusqu’aux années 80, l’Association des Écrivains semblait le seul foyer de vie littéraire où des auteurs salariés recevaient une allocation, dépendant d’une tacite non-belligérance envers le parti. L’appartenance à cette association n’a interdit ni l’honnêteté intellectuelle des uns ni la persécution de beaucoup. Au contraire, avoir été victime n’est pas gage d’innocence, au pays des gardes rouges, n’est pas Soljenitsyne qui veut.

Aujourd’hui, une invitation m’attire au siège de cette association, presque à la limite des anciennes concessions française et anglaise. En retrait de la rue, l’allée mène au jardin, les marches du perron ouvrent sur une salle où des étudiants en littérature écoutent plusieurs écrivains. Les rires retenus ne témoignent pas de moquerie mais d’adhésion un peu candide. La présidente de l’association, Wang Anyi, 54 ans, est l’auteur du Chant des regrets éternels, portrait en nouvelles de cette ville qu’elle aime et déteste. La ville monstre est la sienne, elle a l’impression d’écrire malgré Shanghai sans pouvoir arrêter d’écrire Shanghai. Lorsque je mentionne son nom à quelques jeunes moins conformistes, le commentaire fuse : « Ah oui, elle est très politique ! » Celle qui en France est présentée comme une écrivain qui fait scandale pour ses prises de positions contre les tabous de la société chinoise, ou comme une victime du gouvernement communiste, est perçue par les jeunes Chinois comme un apparatchik.

La Chine est un monde aux vérités complexes. Depuis vingt-cinq ans, une révolution inverse a emporté à contre-courant tout le pays vers les forces du marché et du commerce. Du concept communiste, il ne reste plus que la dimension iconique et autoritaire. L’édition commerciale a la vie belle, les manuels de management prolifèrent comme les romans intimistes. Les Associations des Écrivains songent à présent à conditionner l’attribution des pensions en fonction du nombre de publications de leurs membres.

En sortant de ce bastion semi-officiel, je passe devant un café littéraire, mêlant vieux meubles et rayonnages. Sur les tables sont servis des empilements de petits sandwichs et pâtisseries hérités des high-tea anglais, dont les Shanghaiens se sont de nouveau épris au titre de leur croyance en un raffinement urbain, cosmopolite, qui les différencierait de leurs compatriotes des campagnes. On retrouve cette recherche élitiste dans certains personnages de Qiu Xiaolong quand il décrit dans La Danseuse de Mao ceux qu’il appelle les « vieilles lunes », descendant de familles dont le succès avant la révolution et la guerre avait fait le nom. Je me souviens d’une professeur émérite à la retraite, traductrice de Balzac. Sa nostalgie de sa « grande famille » la tenait au point qu’elle se réjouissait des liens historiques entre son arrière-grand-père colonel et un de mes ancêtres, mandarins des Qing puis ministre de la République nationaliste. Famille de martyrs, famille de dignitaires, rien de cela n’accroît pourtant d’un iota la valeur d’un écrit… J’ai partagé une fois la même estrade que Qui Xiaolong, pour parler de poésie érotique sous les Tang. Dans ses propres romans, l’évocation des alcôves, hors du champ narratif, me paraissait la marque d’un Chinois de sa génération, enhardie à la modernité mais pudique, soucieuse des convenances. La croyance en l’excellence de Shanghai n’est pas l’apanage de nostalgiques du passé. Shanghai Baby livre le récit de la vie chaotique d’un personnage d’autofiction proche de l’auteur Weihui. L’ouvrage accumule tous les stéréotypes. Et Weihui de s’extasier au fil des pages sur la supériorité de la Shanghaienne, sa culture issue d’un brassage unique de Chine et d’Occident.

Je m’assieds dans la librairie-salon, le temps d’un café viennois. En consultation sur un présentoir, une douzaine de journaux littéraires, espèce encore bien représentée malgré la menace d’un État de moins en moins convaincu de l’utilité des activités sans équilibre économique. Beaucoup de professeurs vieillissants s’y répondent avec ce qu’ils croient être de l’audace quand d’autres les jugent compassés. Ces revues ont perduré pendant la période communiste. Depuis les années 80, le reflux de la pensée dominante a laissé plus de place à l’expression. Les intellectuels ont d’abord retenu leur souffle, ayant le souvenir trop vif en 1957 d’une « Campagne des Cent Fleurs » qui avait autorisé la critique avant de se refermer comme un piège sur ceux qui y avaient cru. Les maisons d’édition se lassent à présent de ces revues, pendant que les portails internet littéraires explosent. Et que les librairies traditionnelles reculent. Les sites spécialisés chinois parviennent à négocier de meilleurs prix ou des exclusivités de lancement pour les livres commandés en ligne. Les romans en feuilletons de jeunes auteurs se multiplient sur des blogs associés aux sites littéraires, étendent leur popularité au fil des épisodes, et lorsqu’ils atteignent un seuil de lecteurs réguliers, l’édition papier sort, la publication en ligne est interrompue.

Je finis mon café, et reprends ma marche. Le chaos de cette ville ne sied pas à l’écriture du temps qui passe. Sur mon chemin, le quartier est démoli par des ouvriers migrants venus casser du béton comme autrefois les bagnards du caillou. Ils le font pour un salaire de misère qui permet à leurs enfants restés à la campagne d’être nourris et, pour les plus brillants, de suivre des études et d’espérer échapper au cycle de la pauvreté. Les pères triment et ne lisent pas. Les mères travaillent comme bonnes chez des Shanghaiens exigeants. Un jour, leur descendance elle aussi se dira shanghaienne, parlera de sa supériorité et de son raffinement, écrira des livres en ligne que le monde entier lira.

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Fragments d’une vie littéraire Par Tang Yi-Long
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.