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Domaine étranger Mémoire sacrifiée

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Thierry Cecille

En un long monologue âpre, entre le cauchemar et le sacrilège, Josef Winkler, une fois encore, explore un martyre : le sien.

Langue maternelle

Nombre de toiles de Bacon l’assènent, à leur manière crue et délicate tout à la fois : l’homme, en vérité, n’est que viande - à l’étal, sanguinolente, écorchée. Nous tentons pourtant de nous dissimuler ce fait atroce : animaux, c’est par la chair que nous tenons à la vie. Dieu même, nous en avons fait une plaie vive, d’où le sang coule, d’où le pus - voyez Grünewald - suppure, et nous avons cloué partout cette blessure ouverte : le crucifix. Crucifix, masques mortuaires, cordons ombilicaux d’enfants morts, bétail abattu ou mettant bas, sperme et urine, jambes pendantes des pendus, vagins écartelés - ce ne sont là que quelques-uns des motifs de cette symphonie, où les scherzo démoniaques alternent avec des adagio mélancoliques, des pièces du puzzle sans cesse construit et déconstruit auquel nous devons, durant plus de trois cents pages ne formant qu’un seul bloc, nous confronter.
Méditations et prières rageuses.
Paru en 1982, ce roman aura attendu près de trente ans pour être traduit : il nous arrive alors que d’autres ouvrages ultérieurs de Winkler lui ont déjà conquis un public attentif (Le Serf, Cimetière des oranges amères, ou, en 2004, plus surprenant encore et délibérément incantatoire, Sur la rive du Gange - tous chez Verdier) et qu’il a reçu cette année le prix Büchner, la plus haute distinction littéraire d’Allemagne. Moins maîtrisée peut-être que celles qui suivront, ou délibérément plus déséquilibrée, plus heurtée, cette œuvre nous plonge dans le même paysage - physique et mental - et creuse les mêmes thèmes. En un village de Carinthie (rappelons que le défunt Jörg Haider en fut le gouverneur représentatif), dans les années soixante puis soixante-dix, le narrateur se débat avec de multiples ennemis et des obsessions farouches. Là, on prie, on cultive la terre, on élève et on abat les animaux. On prie et l’on tresse des couronnes pour la fête des moissons. On prie et l’on se pend, on prie et l’on se noie - quand le désespoir ou le dégoût de vivre se font trop lourds. Tel Job, le narrateur gratte ses plaies avec sadisme, se lamente, crache sur tout ce que les autres respectent, se prête à une sorte de théologie noire, une contre-Théodicée : « Je remercie Dieu pour les erreurs dans sa création » - tels seront ses derniers mots. Alternent, en des séquences de longueur variable, des méditations mêlées de rêves, des prières rageuses, des énumérations d’épiphanies - minuscules scènes vécues ou imaginaires - et des épisodes plus narratifs. La phrase, précise, charnelle et en même temps labyrinthique, installe de bout en bout une tension constante - que ponctuent des métaphores énigmatiques ou baroques. Fœtus observant le monde à travers le ventre transparent de sa mère, enfant fasciné par le cadavre des vieillards, adolescent en érection devant l’érection devinée des deux frères pendus, il devient enfin écrivain pour rendre (restituer et vomir) les visions de cette espèce de pandémonium où il dut vivre ces années d’apprentissage de la mort et du désir. Révélation : « La machine à écrire montrait le chemin de la liberté, elle construisait l’adieu aux parents, frappe après frappe, lettre à lettre, ligne à ligne, page à page, livre à livre. » Malédiction : « Je leur jette mon existence sur la table comme un morceau de viande de veau. » Provocation : « Cette nuit encore, quelques morts ont ressuscité en moi. Sans m’en apercevoir j’ai eu une éjaculation. Les jeunes morts s’installent dans ma boîte crânienne et demandent l’aumône. » Peut-être en définitive eût-il mieux valu ne pas naître : « Si seulement la goutte de sperme à partir de laquelle je devins pouvait reposer sur une branche de cerisier japonais comme une goutte de rosée. »

Langue maternelle de Josef Winkler
Traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Banoun
Verdier, 315 pages, 15,80

Mémoire sacrifiée Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.