Quelle que puisse en être la tentation, on ne revient pas en arrière - à cette vérité aussi galvaudée qu’ignorée par le grand cirque des illusions humaines, le Père David Anderson, nommé en Écosse après des années de bons et loyaux services au sein de paroisses anglaises, va se heurter de plein fouet. Aidé en cela par l’environnement hostile de la bourgade ouvrière de l’Ayrshire qui le supporte plutôt qu’elle ne l’accueille, par la bonté exigeante et moqueuse de Mrs Poole, officiant aux soins du presbytère et de son jardin, tout autant que par sa propre inclinaison à se fourvoyer dans des situations impossibles, par amour, par lassitude, par défi, par orgueil. Ou tout simplement par excès de tristesse non assouvie. Car c’est le tour de force d’Andrew O’Hagan d’offrir à cette histoire de perdition des temps modernes une multitude d’angles et de niveaux de compréhension.
Au cœur des « confusions authentiques ».
À 57 ans, le Père David a derrière lui de belles références, soutenues par l’évêque Gérard qu’il a connu au petit séminaire à Rome - et un amour de jeunesse à Oxford avant d’entrer dans les ordres, secret voilé plus que caché, moteur ambigu de sa foi comme de son sacerdoce. Son installation en Écosse est un retour aux sources et l’occasion de se rapprocher d’une mère veuve trop tôt, convertie en romancière de romans historiques pragmatique. Pour autant, l’homme et le prêtre - narrateur de ce récit aussi flamboyant que délicat - ne se laissent pas cerner par ces seules motivations. Sois près de moi est d’abord une plainte informulée, retenue, ravalée qui jalonne sa vie - adressée à Dieu, à l’amour perdu, aux rencontres présentes, à la mère excentrique et rationnelle - à lui-même en définitive, plainte éprise d’humanisme, en écho aux vers de Tennyson mis en exergue du livre. Quête éperdue de retrouvailles ou de trouvailles de ce qu’il est et n’a su mettre au monde, quête de ne pas se trouver, à travers tous les expédients possibles, telles ces soirées avec une bande d’adolescents rebelles - les « plus vulnérables et plus durs aussi bien » du lycée - et dont la fréquentation sera le coup final porté à sa réputation. Repère social et moral, prêtre, aumônier, taxé de pédophilie pour un baiser volé un soir de beuverie - et l’on reprochera à l’éditeur d’avoir édulcoré le propos sur sa présentation en 4e de couverture - le Père David suit la danse des sentiments troubles qui se mettent au jour sans jamais parvenir tout à fait à mettre en acte sa conviction que son « quotidien, c’est (…) la certitude de savoir où réside le bien et où prévaut le mal. » Question polémique, si facile à trancher lors de dîners de notables à propos de l’engagement des troupes britanniques en Irak, si délicate à appliquer à sa propre vie face à l’attrait des adolescents dont la « désolation semblait agir comme une drogue puissante ». Question sans fin semble proposer O’Hagan, creusant le cœur de l’homme avec une subtilité sans faille, quitte parfois à laisser croire à une certaine complaisance, pour mieux retravailler quelques pages plus loin l’obscure nuée des « confusions authentiques » et des faiblesses de l’être humain.
Déjà acclamé dans le monde littéraire anglo-saxon, retenu par la revue Granta parmi les vingt meilleurs jeunes écrivains depuis 2003, Andrew O’Hagan, né en Ecosse en 1968, est directeur à la London Review of Books, et ambassadeur de bonne volonté pour l’UNICEF. Ses deux premiers romans Personnalité (2005) et Le Crépuscule des pères (2000) sont parus chez Flammarion. Sois près de moi est actuellement en cours d’adaptation au théâtre par le National Theater of Scotland et le Donmar Warehouse de Londres. La première est annoncée pour janvier.
Sois prÈs de moi d’Andrew O’Hagan
Traduit de l’anglais par Robert Davreu, Christian Bourgois, 355 pages, 22 €
Domaine étranger Trouble est la nuit
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Lucie Clair
Le voyage intérieur d’un homme d’Église prend sous la plume d’Andrew O’Hagan les allures d’une Épiphanie humaniste mêlant amour et douleur.
Un livre
Trouble est la nuit
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.