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Arts et lettres Du futurisme comme antipasti

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Éric Dussert

À l’occasion de l’exposition « Le Futurisme à Paris » du Centre Pompidou, jusqu’au 26 janvier, un catalogue, des manifestes et ce grand tapageur de Marinetti.

Debout sur la cime du monde : Manifestes futuristes 1909-1924

Futurisme à Paris : Une avant-garde explosive

Durant les années punk, Adam and The Ants chantaient « Marinetti Bioccioni Carrà Balla Palazzeschi » (« Animals and men ») et l’on avait peu eu, depuis, l’occasion d’entendre ces noms. Il faut peut-être même remonter aux grandes expositions des années 1970-1980 (« Paris-Moscou », « Paris-Berlin », « Paris-New York ») pour signaler le passage de quelques-unes de ces toiles à Paris. Après le surréalisme et Dada, il était donc tout naturel que l’on aborde les futuristes dans une présentation d’ensemble. Tandis qu’on nous offre de reprendre Picasso - qui ? - depuis ses sources cette fois, l’idée de découvrir des œuvres et de les déguster était la bienvenue. On s’attendait à un festin et ça l’est, pour la rétine, tandis que l’esprit souffre lui de frustration.
C’est en effet un festin que cette exposition du Centre Beaubourg qui offre à voir enfin des toiles comme le superbe triptyque « Stati d’animo » d’Umberto Boccioni (1911), ses rues, sa « Visioni simultanee » (1911) - qui nous rappelle que l’époque était aux « ismes » -, des œuvres magistrales de Carlo Carrà, des Balla enthousiasmants dont cette « Bambina che corre sul balcone » (Petite fille qui court sur un balcon) qui paraît d’une fraîcheur étourdissante (Gino Severini est beaucoup moins enthousiasmant), les extensions anglo-saxonnes, russes (Malévitch, Olga Gontachrova), tchèque (Kupka), Boccioni toujours en devancier de Bacon, et puis Félix Del Marle, le Montmartrois de l’étape, Robert Delaunay, Marcel Duchamp et les cubistes consacrés. C’est encore le cas parce que le catalogue permet de rafraîchir le souvenir lorsque, une fois les salles arpentées, on a tourné les talons. Les spécialistes (G. Lista, D. Ottinger, J.-C. Marcadé, etc.) y produisent nombre de documents et d’analyses sur ce qu’ils nomment une « avant-garde explosive ». Nous allons y revenir car l’exposition a également été l’occasion de la réunion, sous le titre de Debout sur la cime du monde, par Jean-Pierre de Villers des fac-similés de vingt-sept manifestes futuristes. Et ces textes sont à lire…

« Homme de plume et de papier, Marinetti a fini dans l’académie fasciste de Mussolini comme un cheval de concours dans les lamentables arènes de sciure de bois de César (…) »

Le plaisir s’amoindrit déjà, et pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’au-delà de la réunion des toiles et de documents imprimés (notamment le texte fondateur publié à grands frais par Marinetti en une du Figaro du 20 février 1909, comme le fit en son temps Jean Moréas pour lancer son Manifeste du symbolisme), l’exposition laisse un petit goût de trop peu. Trop peu de portraits photographiques des uns et des autres, trop peu de précisions sur les parcours humains, trop peu d’informations sur Valentine de Saint-Point, la « muse pourpre » de d’Annunzio qui fut tout de même la compagne de Ricciotto Canudo et l’auteur de deux manifestes : le Manifeste de la femme futuriste et le Manifeste de la luxure (édition par Jean-Paul Morel, Mille et une Nuits, 2005). Ensuite beaucoup trop de cubistes, peu de mentions de l’œuvre de Palazzeschi, poète et romancier qui se détourna de Marinetti par indépendance, et surtout aucune mention de Jules Romains dont l’unanimisme était pourtant nettement parallèle puisqu’il se préoccupait lui aussi de rendre, mais en mots, la vitesse et la technologie, la vie des foules, les vibrations des cités modernes. Bien sûr, le très beau catalogue de l’exposition corrige le tir (les dieux en soient remerciés) et cite Romains à trois reprises. C’est peu. Quant à Henri-Martin Barzun, financeur du groupe de l’Abbaye et fondateur du simultanéisme, il subit le même sort dans l’exposition (mais est rattrapé dans le catalogue), malgré la présence de « Simultaneità. La donna al balcone », une superbe œuvre de Carrà, par exemple. Considère-t-on que le visiteur d’exposition n’est pas prêt à lire des noms inconnus qu’on lui les cache ?
On ne peut s’empêcher de remarquer ensuite que les positions politiques des futuristes italiens, qui ne sont pas claires, sont tues. Si l’on fait l’éloge de ces promoteurs enthousiastes des vives couleurs de la vie (avant qu’ils n’adoptent les tons cubistes), de la technique et de la vitesse, on oublie de signaler que les futuristes sont aussi les auteurs d’éloges répétés de la guerre mécanisée (on est en 1914…), et que Marinetti, tête d’empeigne bourgeoise à moustaches, prompt à la gesticulation quand elle lui permet la pose, fut aux côtés de Mussolini. Confère le fameux « Politico futurista » de la revue Lacerba (15 octobre 1913). Le cas de l’écrivain Giovanni Papini qui resta toujours hâlé des tendances funestes de ses débuts fut finalement beaucoup plus net, car plus évolutif.
Dans une circulaire électronique en cours de parution (alamblog.com), le spécialiste de dada Marc Dachy (Archives dada, Hazan, 2005, Lmda N°68) pose à ce propos les éléments de notes qui éclairent d’un autre jour le futurisme. Le titre de ce texte est d’ailleurs sans ambages : « Une avant-garde ridicule ». On est loin de l’« avant-garde explosive » brandie par les concepteurs de l’exposition. En guise d’entame, Dachy cite notamment un éreintement somme toute définitif de Marinetti par Moholy-Nagy datant de 1946 : « Homme de plume et de papier, Marinetti a fini dans l’académie fasciste de Mussolini comme un cheval de concours dans les lamentables arènes de sciure de bois de César, quand les vrais écrivains avaient quitté l’Italie fasciste ou y étaient emprisonnés, dans des camps de concentration ou bestialement assassinés. » Un enterrement de première classe.
Sur le fond, Dachy conteste l’usage du terme « avant-garde » dont l’origine militaire est pourtant on ne peut plus adaptée aux va-t’en-guerre italiens et à d’Annunzio qui ne s’est jamais tenu loin des armes. À croire que l’Italien est un guerrier accompli ! Le seul livre Futurisme de Marinetti, publié en français en 1911, propose ainsi quelques perles : « Chez les jeunes, ce que le cerveau n’avait pas compris, le sang l’avait deviné. C’est en effet au sang de la race italienne que nous nous sommes adressés… » ; « Gabriele D’Annunzio (…) plagia notre affirmation sur le mépris de la femme, condition essentielle pour l’existence du héros moderne. » ; « La paix prolongée (…) est fatale aux races latines. » ; « le progrès a toujours raison ». Ad nauseam. La grandeur de Rome est loin, la bêtise reste éternelle. Si l’on s’en tient aux critères généralement admis, le futurisme ne fut en effet pas un mouvement d’avant-garde, puisqu’il n’était pas dénué de moyens et parce qu’il n’a pas entraîné d’évolution générale de l’art. À cet égard, il est frappant que sans cubisme le futurisme n’aurait pas grandement progressé. C’est cette interpénétration des deux courants sur laquelle ont insisté les commissaires de l’exposition qui invalide justement l’ambition avant-gardiste. Et si l’on y regarde de près, l’art des nabis et des symbolistes semble avoir été vu par certains des peintres italiens dont les toiles pourraient dater d’une décennie plus tôt. Mais il est vrai aussi que l’iconographie fasciste partage bien des points communs avec le réalisme soviétique…
La personnalité de Marinetti est finalement l’autre point prégnant de ce pan d’histoire de l’art et des idées. Largement contestée, elle vaut qu’on s’y arrête comme il faudrait que l’on s’éternise sur ses positions politiques. Marc Dachy cite par exemple Arthur Cravan dans l’exercice de la menace : « Ne pouvant me défendre dans la presse contre les critiques qui ont hypocritement insinué que je m’apparentais soit à Apollinaire ou à Marinetti, je viens les avertir que, s’ils recommencent, je leur torderai les parties sexuelles. » (Maintenant, 1914) et il rappelle que les Russes ne firent pas un accueil cordial au leader italien lors de son passage à Paris. Gide sur le même Marinetti : « C’est un sot, très riche et très fat, qui n’a jamais su se réduire au silence. » C’est décidément beaucoup pour un seul homme. Restent donc toujours les vertus cardinales d’Olga Gontachrova, de Wyndham Lewis, d’Edward Wadsworth, de la revue Blast, des sculptures d’Henri Gautier-Brezska, et puis toujours Boccioni, Carrà, Balla, Palazzeschi, peintres sans le sou des trattoria populaires alpagués par le millionnaire Marinetti, avide de gloire et amateur de slogans propices à la publicité. « Aux pinceaux ! » plutôt qu’« Aux armes ! », donc.



à lire



Le Futurisme à Paris, une avant-garde explosive

Catalogue dirigé
par Didier Ottinger,
Cinq Continents-Centre Pompidou
360 p., 39,90

Debout sur la cime du monde. Manifestes futuristes,
1909-1924

Réunis par Jean-Pierre de Villers
Dilecta, 158 p., 22

Du futurisme comme antipasti Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.
LMDA PDF n°98
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