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Poches Viennoiseries

janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99 | par Camille Decisier

Albert Ehrenstein sort des oubliettes : les errances mentales de Tubutsch composent un manifeste expressionniste renversant.

La lecture est souvent une embuscade. Tubutsch (1911) en atteste, qui derrière ses allures de boutade attend au tournant le lecteur, sa raison et son prétendu bon sens. Tubutsch, c’est celui qui s’écrie, en regardant travailler des égoutiers : « Leur spectacle rouvrit en moi une vieille blessure : au fond de mon être se réveilla l’inextinguible désir d’être l’épouse d’un égoutier. » Tubutsch, c’est un être vivant non identifié, sinon par la fiche qu’il remplit à l’attention de sa future concierge : religion : « gréco-paradoxale » et, sous profession : « Je brigue une petite place dans le Chorus mysticus ». Tubutsch, c’est le divagateur en chef, celui avec qui le vertigo arrive en force ; un logorrhéique détraqué, qui verrait bien les machinistes du tramway conduire des trains temporels et les journalistes viennois relater la noyade de deux mouches dans un encrier. Tubutsch, c’est ce que serait l’homme, une fois affranchi de l’orgueil qui lui fait taire les questions primordiales : pourquoi n’y a-t-il aucun mammifère de couleur verte ? Le pigeon qui vient chaparder les petits pois de la marchande est-il ou non la réincarnation de son défunt mari ?
Il n’est pas dans les usages d’Ehrenstein (1886-1950), poète autrichien (peu) connu pour sa noirceur, de cantonner l’écriture au simple divertissement ; d’où vient la tristesse mal définie de ce delirium ? En observant Tubutsch, on imagine Candide peint par Munch ou par Kirchner, et on contourne d’emblée l’écueil de la légèreté ; sa gaucherie, sa soif insatiable de vérités communément négligeables (donc négligées) révèlent plus qu’elles ne dissimulent le calvaire quotidien de ceux dont « le centre de gravité est situé hors d’eux-mêmes, quelque part dans l’univers ». Roi biscornu des sophistes en plein raclage de marmites existentielles, soumettant ses chimères à une logique étriquée - celle de l’esprit petit-bourgeois dont Ehrenstein exècre les valeurs -, son personnage distille une mélancolie permanente et, curieusement, d’autant plus oppressante que le sujet prête à rire. Ainsi ce long dialogue, à l’issue duquel son tire-botte lui annonce qu’il présidera prochainement le premier Congrès international de tire-bottes en Amérique, se clôt par l’aveu d’une solitude sans remède.
Incarnation absurde du « pourquoi », Tubutsch est aussi la part la plus réactive et sagace de nous-même, celle que nous bridons soigneusement par respect de la norme sociale. Il se fait l’un des rares ambassadeurs littéraires du début de l’expressionnisme, projetant sa subjectivité sur le réel pour le travestir à sa guise. La guerre selon Tubutsch ? Une « camisole de force ». Les librairies, des « débits de littérature ». Une imagination galopante qui s’accommode bien, parfois, de la clairvoyance la plus crue : « Les critiques devraient faire partie de la publicité. Même quand leur auteur, en distribuant ses éloges ou ses blâmes, ne se livre pas à des opérations tout à fait pures d’échange de politesses ou de renvoi d’ascenseur, c’est toujours pour lui-même et pour sa sagesse à lui qu’il fait de la réclame. »
Dans L’Enterrement, un narrateur très « tubutschien », à la maturité oscillante, prétexte le décès d’une vieille tante pour aborder le thème de la mort et s’en prendre, cela va sans dire, aux vivants d’abord. Le Suicide d’un chat relate, comme son titre ne l’indique pas, la mort violente et non volontaire d’un matou nommé Thomas Kerouen. Ces deux autres récits qui accompagnent le volume, d’un impact littéraire moins violent mais d’égale puissance symbolique, méritent eux aussi notre attention. L’œuvre d’Ehrenstein reste à rééditer ; encore un effort, et parions que « Tubutsch » pourrait devenir la dernière interjection à la mode pour désigner ce que l’homme, bêtement, ne s’explique pas.

Tubutsch d’Albert Ehrenstein
Traduit de l’allemand par Claude Riehl et Sibylle Muller, Circé, 115 pages, 9

Viennoiseries Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°99 , janvier 2009.
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