Pas de doute, Øystein Lønn, né en 1936, n’en est pas à son coup d’essai avec ce troisième livre paru en français : texte dense, personnages nombreux avec quelques figures phares peintes à petites touches savamment disposées là où on ne les attend guère, histoires individuelles intriquées dans l’Histoire collective, narrateur omniscient qui distille son savoir, organisation du récit sophistiquée et polyphonique. Le protagoniste principal, Simen, rédacteur en chef d’un journal d’information, perd sa femme Sofia, chirurgienne atteinte depuis longtemps d’une maladie du cerveau.
Plongeant sans douleur dans une autopsie de son couple, Simen tente de « faire le tri dans une masse molle d’événements » et fait remonter dans le désordre lieux, scènes et événements ; à quoi le lecteur doit non seulement un exercice de reconstruction logique de l’ensemble, mais aussi une série de portraits subtils et variés, comme ce grand-père pour qui le temps « semblait (…) si dense, aussi authentique que le pain pris sur la miche et le lait qui gouttait de sa cuillère ». Mais la violence - verbale, physique ou symbolique - est dans l’univers d’Øystein Lønn une monnaie autrement plus courante que l’amour ; à tel point que, à Simen, « l’existence avait fait l’impression de n’être qu’une inflammation grave ». Celui-ci porte un regard lucide et perplexe sur notre époque : au-delà des faits (Tchernobyl, Olaf Palme, boat-people ou le terrorisme kamikaze), il perçoit des phénomènes qui sournoisement installent dans nos vies un contexte dégradant et corrosif : le désastre écologique, l’effondrement éthique, la banalisation mondialiste, le gouffre de cupidité creusé par l’argent facile. Une écriture précise, volontiers plastique, rend compte d’états intérieurs comme de paysages ou de situations : « L’extase était patente dans le mystère froid de la cathédrale, sur les vitraux, sur les étals, parmi les doudounes et les toques de fourrure. (…) Les pécheurs estoniens faisaient la queue devant le prêtre qui leur donnait l’absolution. Il murmurait, trois doigts sur la tête, deux minutes pour chacun », habilement contrastées à plusieurs pages d’intervalle : « Tout en suivant des yeux le curseur sur l’écran bleu, il analysait la nouvelle orthodoxie. Il inspira profondément, habitué à l’enthousiasme des convertis. La Bourse était la nouvelle cathédrale » (…). Dérangeante, tristement belle lecture.
Les tempêtes de Simen
de øYSTEIN LøNN
Traduit du norvégien par Alain Gnaedig, Gallimard,
248 pages, 22,50 €
Domaine étranger Les tempêtes
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Marta Krol
Un livre
Les tempêtes
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°99
, janvier 2009.