David Mitchell nous avait habitués à des romans aux formes étonnantes. Écrits fantômes reliait des récits par une structure géographique, quand Cartographie des nuages le faisait au moyen de divers archipels temporels. Il est ici nettement plus traditionnel. Au risque de proposer le roman autobiographique obligé de l’enfance s’ouvrant à l’adolescence. Mais il n’est pas facile d’être incompris. Par ses parents et, pire encore, par ses camarades qui ne jurent que par de stupides valeurs viriles. Le chemin à frayer est jonché d’embûches par les « barbares poilus » parmi lesquels il aimerait s’intégrer. Mais il faut cacher qu’il aime les livres et écrit des poèmes primés sous le pseudonyme d’Eliot Bolivar. Il sera traité de « pédoque » comme tous ceux qui lisent ou aiment Bach. Pire, notre Jason est affligé de « bégaiement tonique » et peut-être d’un « cancer de la personnalité ». Tel un chasseur de société primitive, il fera tout un parcours du combattant à la lisière de la délinquance pour faire partie du groupe. Hélas, il n’échappera pas aux humiliations en série, sauf au « fond des forêts ». Il côtoie l’histoire de l’Angleterre, lorsqu’un ancien élève de son école meurt lors de la guerre des Malouines. Le récit bascule lors de la rencontre de Mme Crommelynck qui s’intéresse à son « œuvre ». Vif et pertinent, l’échange littéraire et critique donne une profondeur soudaine à la destinée de Jason qui s’interroge sur sa création : « Dès qu’un poème a quitté le nid, il n’en a plus rien à faire de vous ». Plein de fantaisie, de poésie et de psychologie, ce roman d’initiation - y compris à l’amour et au divorce de ses parents - a le mérite insigne de montrer combien nos contemporains sont encore barbares à l’encontre des valeurs intellectuelles et poétiques.
Domaine étranger Le fond des forêts
mars 2009 | Le Matricule des Anges n°101
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Le fond des forêts
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°101
, mars 2009.