Voilà une écriture que l’on qualifierait volontiers de translucide : qui donne à voir sans pour autant être totalement transparente ; qui trahit son objet plutôt qu’elle ne le montre ; qui préfère pour un objet fuyant un fini dilué, ouvert, incertain, à la place d’un trait franc mais réducteur. Ce en quoi Jean Daive, par ailleurs spécialiste en peinture et photographie, reste fidèle à lui-même à travers la longe suite de ses parutions depuis 1967.
Ce recueil de poèmes a une vocation narrative aussi subtile qu’indéniable : chacun véhicule un élément - idée, image, esquisse d’événement - qui concourent à la construction d’un ensemble, ensemble consistant en le portrait d’une femme. Le mot « narratif » n’est du reste pas le mieux approprié, car on y chercherait en vain un déroulement d’histoire ; s’il s’agit de raconter, c’est pour raconter quelqu’un - comme on le ferait à l’aide d’une série de clichés ou de tableaux représentant une personne - une femme, en l’occurrence - dans différents moments de sa vie ordinaire. C’est pourquoi le temps grammatical est le présent, qui unifie et annule toute aspérité événementielle : « De la casserole à la fourchette. // Du lit à la table. // Elle suce son pouce /(inf) en tournant le lait » (…) ; « Lorsqu’elle agrafe / son collier // le dimanche (…) » ; « Devant la porte / de sa maison // elle laisse la nuit / une marmite / pleine d’un ragoût bizarre // préparé au miel et marrons ». Seules les irruptions du passé composé proviennent de poèmes introspectifs, où une pensée, toujours très dépouillée, de la protagoniste, associée au commentaire du poète, permettent de reconstruire des bribes de son histoire : « Comment est-il possible / pour apprendre à aimer / un homme // d’en aimer un deuxième ? » ; « Une femme / se pose cette question. // Quarante ans / après ». Lentement et fragilement se construit ce beau portrait, tout en clairs-obscurs, tout de mystère, tristesse et dignité, d’une femme solitaire. Elle vit en un lieu isolé ; elle a eu une vie - des vies - cahoteuses ; elle « Savonne les vieillards // le carrelage et / rince » ; « Elle ne parle à personne » ; elle subit la torture d’angoisses et de désespoirs ; nul homme ne salue sa féminité ; et « Écrire / est ce qui la maintient hors du vide ». Sobre et poignante chronique d’un lent naufrage.
une femme de quelques vies
de jean daive
Flammarion, 172 pages, 18 €
Poésie Une femme de quelques vies
mars 2009 | Le Matricule des Anges n°101
| par
Marta Krol
Un livre
Une femme de quelques vies
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°101
, mars 2009.