Sous le crayon de Jan Harder, une tentative de totalisation démente, assommante, désarmante.
Autant annoncer la couleur. Ici commence une somme de trois volumes consacrée à l’Histoire de la Vie, et son concepteur semble complètement frappé. Il a prévu que le dernier volet (Gamma…visions) proposerait une « visualisation » du futur. Que le deuxième (Beta… civilisations) retracerait l’évolution de l’homme et de ses civilisations. Et pour l’heure, puisqu’il faut bien ouvrir le bal encyclopédique, Alpha… directions s’attache au commencement du commencement, du big-bang jusqu’aux grandes glaciations, en passant par l’embrasement du soleil et la formation des molécules d’ADN. Soit quatorze milliards d’années parcourues en 350 pages et plus de 2000 dessins bichromes (à chaque changement d’ère, une couleur distincte vient compléter le noir et blanc - par exemple, le cryptozoïque est turquoise) : pas encore d’hominidés en vue dans ces parages, et même, « l ’ère de la vie visible à l’œil nu » se fait attendre jusqu’à la page 170. C’est bien beau de dessiner un mouton, mais l’affaire se corse quand il s’agit de figurer l’espace-temps, les écarts de température, les quarks et les neutrinons.
Figurer pour le plus grand nombre les enseignements de la physique ou de l’archéologie, offrir une forme graphique à la vulgarisation : le Berlinois téméraire s’affronte à la tâche. Il s’aide parfois de l’iconographie et de ses prédécesseurs, travaillant l’analogie et le contrepoint. Ainsi, quand la lune se forme, il convoque celles de Magritte et de Méliès ; puis quand la coccinelle prend son envol, il rappelle les formes du modèle Citroën. Des fantaisies qui ne contrarient pas, toutefois, la rigueur chronologique de l’exposé : les œufs et les bestioles tardant à apparaître, on gémit un peu sous le poids de l’abstraction. Pour nous tenir la main, il y a certes du texte - « Si les atomes semblent suivre jusqu’alors un schéma brownien, leur interaction est désormais largement non homogène » -, mais qui ne fait pas toujours envie. Fallait-il laisser les planches muettes ? C’était sans doute laisser la science se dissoudre doucement, peut-être jouer d’une rêverie un peu convenue, et alors négliger la séduction propre à Alpha… directions. Celle-là est mêlée d’obscurs vocables et de grands dinosaures, d’assertions imparables et de grandes zones d’ombre, de vulgate darwinienne et de maîtres des fonds marins : toutes choses qui combinent un monde en soi, très positif et très enfantin. « Les théories et les connaissances les plus diverses ont présidé à l’élaboration de ces pages (…) ; je les ai choisies, de mon point de vue subjectif, pour leur probabilité et leur fort potentiel visuel » : entre la vraisemblance et le spectacle, Harder n’a donc pas choisi. Sa Création du monde peut dès lors prendre poétiquement place au côté des anciennes évocations : c’est « une sorte de bible en images comme on les éditait jadis pour les analphabètes ».
Alpha…directions de Jan Harder
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux
Actes Sud, « L’an 2 », 358 pages, 39, 50 €
Textes & images Drôle d’origine
mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103
| par
Gilles Magniont
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Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°103
, mai 2009.