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Domaine français Voix sans repos

mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103 | par Chloé Brendlé

À travers le récit d’un homme en quête d’identité, Philippe Annocque compose un texte d’une familière étrangeté.

Il ». « Elles ». Un homme au bord d’un fleuve. Les femmes (Suzanne, Angélique, la mère) qui l’ont traversée, sa vie. C’est à partir d’un cliché (le lieu commun selon lequel la vie poursuit son cours, charriant et confondant à la manière d’un fleuve ses alluvions-souvenirs), que Liquide, récit inattendu et discret de Philippe Annocque, dit justement l’usure, celle d’un être autant que celle des mots, et montre comment, par menues et presque imperceptibles dérives, une vie se trouve emportée malgré elle très loin de son lieu de départ. Il fait en effet transparaître le continu glissement d’un homme plongé dans sa mémoire (« la mémoire qui parfois impromptue hors de tout contrôle remonte à la surface comme une sorte de nausée liquide, heureusement fugace ») pour arriver à y inscrire dans une succession sensée le désamour avec la dernière femme aimée. Pas de drame intime, juste l’effritement de soi. Presque doux. Le vertige de l’interchangeable et de l’effacement des traces : « Finalement ce n’est pas si étrange, cette facilité avec laquelle tout cela s’est effacé peu à peu, les noms et les visages,/ jusqu’à ne plus laisser au fond de la mémoire qu’une photo aux formes floues et colorées où l’on ne croit plus distinguer que des éclats de rire collectif sur des faces à jamais imprécises. » L’identité de cet homme s’avère friable, formée qu’elle est par les rêves des autres et les petites décisions prises comme à l’insu de soi. Les mots mêmes, dans leur signification qui tremble, enrôlent et façonnent : « infidèle », « cocu », « aventure », « regret »… L’auteur s’efforce de saisir dans l’écriture ce léger décalage qui distille la familière étrangeté, grâce à une très grande sobriété et au refus de « se payer de mots ». Pas rendre transparente la conscience, mais restituer ce qui n’est plus. Clignotements de présence. « Tropismes » à la Sarraute.
Ce quatrième livre de Philippe Annocque avance et se retire par surimpression d’images et de souvenirs, un peu à la manière des plans du film Le miroir du cinéaste Andreï Tarkovski : des larmes « oubliées et silencieuses de petit enfant chagrin », une chasse d’eau, du pus, la femme qui perd les eaux, du sperme, toute une archéologie incertaine des liquides. L’être inscrit en filigrane de ce texte est une forme qui fuit (au double sens de « perte » et de « fugue ») et coule dans des moules qu’on a préparés ou placés en regard pour lui : « L’être était encore cette substance amorphe dérivant au hasard dans la quête aléatoire d’une autre qui par réaction y provoquerait une sorte de précipité,/ il n’était encore que la variable apparence d’un possible qui lors d’une conjonction incertaine pourrait se voir donner l’occasion d’accéder à un degré supérieur de réalité,/ et à propos duquel un regard extérieur et étonné dirait peut-être « ça prend » (l’amour ?)/ comme on le dit du plâtre ou de la confiture à l’instant où cessant de couler ils prennent enfin leur nom ».
Une nouvelle forme se modèle ; une ancienne se verse dans l’imaginaire. C’est une voix ténue, sans nom ni aspérité pour la fixer, un mince filet, qui nous retient à peine, au début, si terne, qui peu à peu pourtant prend de l’ampleur et s’insinue en nous. Prose poétique entrecoupée de blancs, « courant de conscience » ou « torrentueux égout intérieur » d’une identité paradoxalement sans « dedans » - à grand-peine une personne, pas même un personnage, difficilement un « je » dont le reflet dans l’eau vacille. Et c’est peut-être bien ça, en fin de compte, la littérature : quelque chose comme une voix qui sourde et fait se fissurer les clichés, quelque chose qui correspondrait à ce phénomène physique qu’est la surimposition, et qui amène un cours d’eau à entailler, du fait de son enfoncement, des couches de terre, des roches différentes de celles sur lesquelles il s’était installé.

Liquide
Philippe Annocque
Quidam, 148 pages, 15

Voix sans repos Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°103 , mai 2009.