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Domaine étranger Le prix d’une vie

mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103 | par Dominique Aussenac

Kjartan Fløgstad réinvente le docu fiction mondialisé pour dire comment des entreprises façonnent et détruisent des vies.

Le terme de roman-monde convient parfaitement aux ouvrages de Kjartan Fløgstad. Romans, pour qualifier les curieux et totalisants objets littéraires de l’écrivain norvégien. Monde, pour dire à la fois le microcosme et l’immensité, l’encyclopédique et l’ineffable, l’aliénation et la révolte… Ses livres, denses, partent dans tous les sens, du local au mondial, du mondial aux chants des étoiles et ce dans d’incessants aller-retour. Est-ce la linguistique qu’il a étudiée ou bien la philologie dont il a pu s’inspirer qui ont provoqué cela ? Né en 1944, Fløgstad s’est toujours confronté au réel. Promis à de brillantes études (école polytechnique), il abandonne tout pour devenir ouvrier en usine, graisseur sur un cargo. Il parcourt les mers et l’Amérique latine, traduit Neruda et Cortázar.
Grand Manila, deuxième ouvrage traduit en français après Le chemin de l’Eldorado (Esprit ouvert, 1991) comporte en lieu de préface une cartographie. Un planisphère révèle le réseau planétaire d’une des plus grandes entreprises de produits miniers et chimiques : Union Carbide Corporation. Une carte de Norvège renvoie à Sauda, ville natale de l’auteur. Une loupe montre le port, le cimetière, la fonderie et le Grand Manila, un bar, un bouge. Il est précisé que la fonderie longtemps exploitée par l’entreprise a fait vivre nombre de personnages de l’ouvrage. Le travail de ces derniers, leurs rêves, leurs désespoirs, leur vie familiale sur deux générations prendront la dimension de chansons de gestes. Effet renforcé par l’éclatement du livre en maints chapitres dont certains précédés d’une page de courrier électronique sur laquelle on peut lire des poèmes, des statistiques, des slogans, des extraits littéraires : « ich bin ein Berliner. » John F.Kennedy, « Osama bin Laden ». Georges W.Bush ou « Aujourd’hui est un ange rouge qui a la blanche langue du diable. » Gunnar Björling, Vert soleil.
Chapitre après chapitre, avec des faits mis en parallèle à un niveau planétaire, des connexions s’opèrent, la mosaïque prend forme. La silicose qui frappe certains ouvriers norvégiens, réfutée par les institutions médicales, trouve un écho en Virginie Occidentale. Dans les années vingt des milliers de mineurs noirs américains pour la plupart connurent semblable mort dans la même entreprise. Personne ne le dénoncera. À Union Carbide Corporation, la chair humaine ne vaut pas cher. En 1984, une fuite de produit chimique à Bhopal décimera des milliers de personnes. Pourtant, à la fin du roman, les ouvriers norvégiens, la mort dans l’âme assisteront au démantèlement de leur entreprise. Mais Grand Manila n’est pas uniquement un hymne à la classe ouvrière, à ses martyrs, un pamphlet contre le capitalisme assassin et totalitaire. À travers la narration, Fløgstad effectue un magnifique travail sur la langue, les langues scandinaves, germaniques, anglaises, les dialectes, les accents, les différences de sens entre villages. Il redonne à l’écrit la palpitation, le flux de vie, d’humanité de l’oralité. Il semble étirer le local et lui accorder une dimension planétaire, sans le réduire. Grand Manila est un magnifique chant intemporel. Une œuvre ambitieuse et originale.
À la fois pamphlet et magnifique chant intemporel.
« Les Indiens d’Amérique se demandaient ce que les conquérants espagnols voulaient faire de tout cet or dont ils étaient si assoiffés. Dans le sud du Chili, on raconte que les Mapuches avaient fait prisonnier le conquistador Pedro de Valvidia. Pour étancher une fois pour toutes sa soif d’or, ils le forcèrent à boire de l’or fondu. Les Atztèques du Mexique non plus ne comprenaient pas cette soif de l’or européenne. Pour eux, l’or était plutôt lié aux excréments, raconte Tzvetan Todorov. Monnaies et excréments venaient du même endroit. On se touche la poche arrière, on ouvre la bourse en cuir, et on déplie les billets. »
L’essai Pyramiden, sous-titré « Portrait d’une utopie abandonnée », évoque quant à lui une ville isolée de tout, près du cercle polaire. Une ville en déshérence depuis 1998. Les ours blancs la parcourent aujourd’hui, croisant les statues de Lénine, les fantômes de la guerre froide, les bâtiments à l’architecture moderniste soviétique. Sur ce territoire norvégien, les Russes ont extrait pendant un siècle le charbon. Pour commenter ce symbole dorénavant désuet d’une idéologie aussi libératrice qu’aliénante, Fløgstad, choisit encore la forme éclatée. Il développe une réflexion horizontale, mondialisée et verticale (politique, métaphysique), interroge la littérature minière (Orwell, Zola, etc.), le folklore, la psychanalyse, la musique de Dylan à Lluis Llach en passant par Woody Guthrie. Il va même jusqu’à organiser dans ce lieu désert un virtuel happening, un Woodstock des glaces. Un récit poignant, un brin nostalgique.

Kjartan Fløgstad Grand Manila, Stock, 448 pages, 22.50 et Pyramiden, Actes Sud, 168 pages, 18 , traduits du néo-norvégien par Céline Romand-Monnier

Le prix d’une vie Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°103 , mai 2009.