Certes, l’exercice est difficile en ces temps de chômage galopant, mais faites un petit effort, allez. C’est Bertrand Redonnet qui vous le demande. Imaginez un chômeur heureux. Et plus précisément encore : « un chômeur déterminé, à contre-courant » dans la France gaullienne du plein emploi. Ceci fait, vous voilà donc en présence du dénommé Zozo, le protagoniste de ce livre, « chômeur par goût » qui oppose un refus obstiné à tout travail. L’idée même de bosser l’épuise. Aussi, rusant avec l’administration, ce « petit homme tout rond avec une tête toute chauve » mène une vie pépère rythmée par les saisons, les siestes à l’ombre des noyers et la dégustation d’une rouge piquette, parfois d’un cigare. Pareille situation en pleine Trente Glorieuses est plus qu’une incongruité : un défi. Pire, une provocation. C’est en tout cas comme ça que le ressentent « les villageois besogneux » qui regardent de travers vivre Zozo dans sa « cabane ». Le lecteur, en revanche, se prend d’affection pour ce drôle de zig, et ce d’autant plus vite s’il pense lui aussi que le travail est un vice déguisé en nécessité.
Un oisif qui entend bien le rester quitte à être la « risée des honnêtes gens ». De ce mince argument découle tout le livre de Bertrand Redonnet, né en 1950 dans ce Poitou qui sert de cadre à son roman fantaisiste. Au vrai, plutôt que roman, c’est farce qu’il faudrait dire. Car Redonnet nous donne une bouffonnerie en bonne et due forme. Et rustique avec ça. Son récit a tout, mais alors tout, de la franche rigolade (on n’ose dire déconnade), et pour cause. Quand on choisit ce mode-là d’expression, tout est permis ou presque, l’excès, la caricature, l’outrance. Plus c’est too much, meilleur c’est. L’auteur le sait et ne s’en prive d’ailleurs pas. Pour notre plus grand plaisir, il use et abuse des rebondissements. Si bien que devant le débordement narratif que représentent les tribulations successives de Zozo, le lecteur tantôt glousse, tantôt pouffe, tantôt s’esclaffe. Il faut dire qu’elles sont cocasses les péripéties professionnelles de Zozo, passé maître dans l’art de se faire exempté de turbin, certificat médical à l’appui. Il n’a pas son pareil pour s’en retourner à ses « diverses occupations de type néolithique : les poules, les lapins, le jardin et le cochon » (ce dernier ayant son groin en couv’). Sans parler de la chasse… Ah ! la chasse, ni plus ni moins que « sa raison de vivre » à Zozo, même si, le doigt sur la gâchette, il est aussi habile qu’un manchot au point de croix. Il faut voir comment Redonnet décrit notre bonhomme dans ses virées forestières ; les Monty Python n’auraient pas mieux fait. Bref, c’est avec le sourire aux lèvres à chaque page que l’on suit ce personnage tire-au-flanc et bourru, ainsi que la ribambelle de seconds rôles qui rivalisent avec lui de loufoquerie. Au premier rang desquels un éleveur de chèvre « partageux » dans l’âme et Monsieur le maire qui, adepte de la métaphore filée plus ou moins foireuse, improvise suivant l’inspiration de « singulières facéties verbales ». Paraphrasant le narrateur, on pourrait en dire autant de Bertrand Redonnet dont on sent bien qu’il se régale à raconter, d’un verbe haut en couleur, les mésaventures de ce héros qui est un fieffé coquin. Ça oui, la verve de Redonnet est jubilatoire et surtout sans arrière-pensées. Nul propos sociologique ici, ni thèse ni morale passées en douce ; de l’énergie seulement et de l’inventivité. Tout cela est drôle, plein de vitalité et d’allégresse comme le serait un film tourné en pleine cambrousse avec Carmet ou Villeret dans le rôle-titre, et des dialogues à la Queneau façon Zazie dans le métro. Typiquement le genre de livre que l’ANPE ne saurait cautionner.
Zozo, chômeur éperdu
de Bertrand Redonnet
Le Temps qu’il fait, 107 pages, 16 €
Domaine français Un drôle de zozo
juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104
| par
Anthony Dufraisse
Pour son troisième livre, Bertrand Redonnet signe une bouffonnerie champêtre. Contagieux.
Un livre
Un drôle de zozo
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°104
, juin 2009.