Valentine Hugo raconte avoir été souvent réveillée, en août 1933, dans le château de la duchesse de Gramont, par « un bruit bizarre et assez régulier » provenant d’une chambre voisine : « Dans cette chambre était Max Ernst. Par la porte fermée, un petit claquement métallique résonnait sèchement. Je ne comprenais pas, mais je compris le jour où, feuilletant un gros livre en très mauvais état pris dans une bibliothèque, c’était Le Paradis perdu avec les grandes images de Gustave Doré, je m’aperçus que les gravures étaient pour la plupart détachées et de grands morceaux découpés. Max découpait donc dans les images ce qui lui plaisait pour en faire ses collages. Et naturellement le bruit était celui des ciseaux de Max, sans cesse reposés sur la table ». Une semaine de bonté paraît en 1934, somme de 184 collages divisés en sept cahiers dirait-on chronologiques et thématiques : du dimanche au samedi, La boue, L’eau, Le feu, Le sang, Le noir, La vue, Inconnu. Les collages originaux sont aujourd’hui luxueusement reproduits par Gallimard, qui respecte même leur format réel, et visibles au musée d’Orsay.
Comment lire cela ? Malgré le sous-titre de « roman », sans doute ironique (les surréalistes ont peu de goût pour la chose), on peine à saisir ici le fil d’une narration. Les pages restent muettes, Ernst refusant toute légende ; certes soutenues de cahier en cahier par quelques rimes visuelles, mais pour l’essentiel suscitant l’impression d’un déroulement ultra rapide, et comme condensé, de l’action : pour reprendre les mots de Breton commentant La femme 100 têtes, autre roman-collage d’Ernst, voilà une « ordonnance merveilleuse, qui saute les pages comme une petite fille saute à la corde ». Et qui les saute à l’envers : la semaine commence un dimanche, substituant à la prétendue bonté une Création où dominent menaces et violences. Ici, les salons cossus hébergent un peuple qui grouille ; limaces, queues de diable, reptiles, figures à tête d’animaux viennent sensualiser cet univers positif, comme pour révéler l’enfer bourgeois et décliner ses formes bestiales.
De l’inquiétante étrangeté au goût pour le blasphème, le chemin pourrait être trop emprunté, et Ernst se noyer dans le tout-venant surréaliste. Très loin de là, c’est très réussi. Les collages ont souvent un pouvoir de fascination qui déjoue l’analyse, peut-être parce qu’ils accrochent l’œil sur des détails plus que sur la globalité de la composition. Cette mystérieuse attraction fait oublier la perfection de la technique : les matériaux d’origine - pour l’essentiel des gravures en noir et blanc accompagnant les romans-feuilletons du XIXe siècle - ont été fondus, les coutures effacées. Et comme Ernst a fait disparaître le nom des graveurs et des dessinateurs d’antan, ne restent plus que ses images plausibles aux coupes invisibles. Spécialiste de l’œuvre, Werner Spies révèle la nature délicteuse de l’entreprise : « comme le crime parfait, le collage cherche à échapper au relevé des indices et à l’idée de la colle et des ciseaux ».
Une semaine de bonté de Max Ernst
Gallimard, 408 pages, 45 €
Textes & images Monstres parfaits
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Gilles Magniont
De la colle, des ciseaux et des romans feuilletons pour enterrer le vieux monde : réédition d’une grande œuvre de Max Ernst.
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Monstres parfaits
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°106
, septembre 2009.