Lydie Salvayre, éloge de la déraison
Ils ne sont pas si nombreux, les auteurs français, à nous faire jouer des zygomatiques tout en balayant le spectre complet des émotions. Pas nombreux, non plus, ceux dont les livres pourraient servir de viatiques à nos vies et dont la cruauté est une arme libératrice. Lydie Salvayre est de ceux-là, que les lecteurs ont découverte surtout à partir de l’impeccable La Puissance des mouches (1995) suivi de La Compagnie des spectres (1997). Depuis, et malgré de laborieux passages dans des émissions de télé, la romancière est suivie par un noyau conséquent de lecteurs. Combien ? Elle l’ignore. Quel titre son éditeur a-t-il le plus vendu ? Elle n’en sait rien. Lydie Salvayre est un écrivain, pas un comptable : les chiffres ne l’intéressent pas, les mots, si. Prodigieusement. Le lexique est, chez elle, un outil pour voyager aussi bien dans l’espace que dans le temps, pour la rendre contemporaine de Pascal ou Sterne, et voisine d’une femme obèse de Cintegabelle ou d’un flic foudroyé d’amour dans une banlieue où « tous les enfants ou adolescents vivant dans une cité en zone péri-urbaine, dont les ancêtres, originaires du continent africain, portaient un anneau dans le nez ou un turban sur la tête (surmonté d’une plume) » sont considérés comme des délinquants.
On avait remarqué, dans le dossier qu’on lui avait consacré en mai 1999 (Lmda N°26, épuisé), la fréquence du nom de Fatarella, village catalan et de celui d’Argelès, « camp de concentration » français. Ces noms résonnaient avec l’histoire familière de Lydie Salvayre. Cette histoire-là, on en retrouve à nouveau la trace dans BW, son nouveau roman.
On en trouve trace, de cette histoire d’exil et d’internement, dans bon nombre des livres de la romancière comme s’il lui fallait sans cesse rappeler d’où elle écrit. Rassurons toutefois Eric Besson et son ministère de l’Identité nationale : la romancière est bien née en France. Précisons : à Autainville dans le Loir-et-Cher. La Seconde Guerre mondiale est finie depuis quelques années et cela fait presque dix ans que ses parents ont fui, chacun de leur côté, leur Espagne natale aux mains des franquistes.
La « retirada », cet exode d’un pays en guerre civile, Lydie Salvayre en imagine la douleur dans La Puissance des mouches : (…) « ma mère arrive épuisée après quarante jours de marche, quarante jours de marche en Catalogne sous les bombardements de l’armée de Franco qui vient de gagner la guerre, quarante jours de marche (…) avec pour toute nourriture les navets volés dans les champs catalans, quarante jours de marche jusqu’au camp d’Argelès avec au cœur le chagrin insensé d’avoir laissé les siens de l’autre côté de l’Èbre, ma mère arrive dans ce camp plus démunie encore que les enfants qui naissent, dans ce camp d’Argelès où mon père la distingue au milieu de la foule à son air de jeunesse, à ses yeux infinis. »
Le lexique est, chez elle, un outil pour voyager aussi bien dans l’espace que dans le temps.
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