En plein vol Berlin-Paris, entre la lecture des lettres de Thomas Mann à Theodor W. Adorno et les toquades de sa sœur, une fille « a-féminine », encline à l’exagération ainsi qu’à la désinvolture, fait intérieurement le compte de ses man- quements. Sous le voile de la « paix apparente », elle réprime un cri de « vache étouffée », remâche les fruits de son « éducation suicidaire au bonheur collectif », en convoquant les souvenirs calamiteux de son séjour à Berlin. Souvenirs auxquels se greffent, selon la logique d’une indéfectible « régularité dans le ratage », ceux, bien antérieurs, d’un mariage échoué avec un para.
Chaque lieu berlinois - le Café Einstein, le Kaiser Café ou une salle de cinéma du Sony Center - est le récit réitéré, saturé de méprises et de malentendus, d’une rencontre manquée entre un pianiste lunaire et la narratrice-locutrice de L’Autoportrait bleu. Un récit hanté par l’obscure allégeance des lieutenants du Troisième Reich et placé sous le regard de l’Autoportrait bleu, l’un des tableaux d’Arnold Schönberg. Le fiasco était-il prévisible ? Qu’auraient bien pu avoir en commun cet artiste, abîmé dans l’étude de l’insondable solitude de Schönberg, et cette femme soumise à la « non-résistance », inapte à ce compositeur et peintre autrichien autant qu’à Proust, Kant et Bergson ?
Monologue obsessif émaillé de contradictions, de dits et dédits, L’Autoportrait bleu procède de la mise à nu d’une conscience qui, par le déversoir d’une parole centripète, éprouve et le « sentiment du temps » et la « négativité en abyme ». Davantage qu’un énième texte relevant de l’écriture blanchotienne dite du ressassement, ce premier roman de Noémi Lefebvre, porté par une indéniable sensibilité musicale, esquisse le portrait d’une humanité désœuvrée. Une humanité dont la perte de sens, à l’instar de l’oreille mutilée de la « vision » bleue de Schönberg, ne pourrait être que l’espace vacant du désir de son impossible saisie.
L’Autoportrait bleu
de Noémie Lefebvre
Verticales, 143 pages, 13,90 €
Domaine français Autoportrait bleu
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Jérôme Goude
Un livre
Autoportrait bleu
Par
Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°106
, septembre 2009.