Au cœur de la Drôme provençale, un petit d’homme soulève l’ourlet du plaid sur lequel il est assis, « découvre la terre nue et bascule ». Ouvrant la main, il en saisit une motte pour la porter à sa bouche. Bien après, malgré une mère négligente et la promesse non tenue de son père, quand il aura gagné la capitale sur les conseils de sa protectrice Roberta, celui qui s’auto-baptisera Pavel Munch n’oubliera jamais le goût âcre de la « belle argile beige, aérée par les lombrics ». Jamais il ne cessera de célébrer les « silices, les roches, calcaires et granitiques ». C’est ce lien premier qu’un biographe jaloux et opiniâtre tente de cerner aux détours d’une enquête vampirique. En agglomérant les traces de ses infimes balbutiements créateurs, Biographie de Pavel Munch (re)donne vie à ce sculpteur qui, en plus des matières minérales et végétales, aura joui des « textures des corps, (du) goût des sueurs et des salives, des sécrétions et des fluides ». Dès les premières pages, le lecteur, incrédule, apprend la « disparition mystérieuse de Pavel Munch ». Pascal Morin, comme dans son premier roman, L’Eau du bain (Le Rouergue, 2004), instille une inquiétante étrangeté dont le dénouement de Biographie… accroît l’intensité. Quelle est l’identité de ce biographe qui avoue avoir « passé sa vie à fomenter des crimes » et dit les avoir couchés « sur le papier, en s’en délectant » ? Pénétrer la nudité secrète de ce très beau roman - roman qui n’aurait pas à pâlir de la proximité du « Portrait ovale » de Poe et du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac -, c’est peut-être courir le risque de rencontrer le « désir contenu, innommé » de son double…
Comment expliquez-vous la subtile mise à distance induite d’emblée par le titre de votre roman ?
À travers l’usage un peu pervers du mot « biographie », je voulais donner une impression de réalité très forte ; une impression qui atteste l’existence de ce personnage. Parmi mes textes préférés, il y en a un, assez extraordinaire, de Germaine Stein : Autobiographie d’Alice Toklas. Elle y parle d’elle-même d’une manière détournée, en ce sens qu’elle écrit sur sa compagne. J’aime ce jeu qui consiste à parler de soi d’une façon indirecte en écrivant l’autobiographie de quelqu’un d’autre, de même que j’aime les nombreux détours auxquels la littérature oblige.
Vous êtes-vous inspiré de la biographie d’un quelconque artiste pour créer Pavel Munch ?
Non, pas du tout. Adolescent, j’ai fait de la peinture pendant un ou deux ans dans un atelier à Lyon et, jeune adulte, un peu de modelage dans un atelier de quartier à Paris. J’avais alors été fasciné par ce que les élèves laissaient passer dans la terre, malgré eux. J’en ai gardé des images fortes qui m’ont permis d’élaborer le personnage de Pavel Munch. Voir ce qui sort de la terre, c’est très étonnant. Surgissent de la glaise des formes incroyables, érotiques, inconscientes.
J’ai grandi à la campagne, dans le sud de la Drôme. À moi seul,...
Entretiens Vrais-faux portraits
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Jérôme Goude
Le quatrième roman de Pascal Morin explore, à travers le bras de fer d’un écrivain et d’un sculpteur, les coulisses de la création.
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