Tout est éparpillé, dispersé aux quatre coins du monde. Personne ne peut retrouver personne. « Ainsi parle Rashid, le narrateur de cette histoire plurielle. Nombreux en effet sont les personnages qu’il évoque : Martin, le voyageur perdu dans l’Empire colonial britannique d’Afrique noire, et Rehana l’indigène, à la fin du XIXe siècle. Puis le deuxième couple interdit, Jamila et Amin, dans les années 60. Enfin, un » je « exilé en Angleterre, Rashid lui-même, frère d’Amin, qui tente de faire le lien entre ces trajectoires brisées. Il dévoile, en creux, sa propre histoire. Autant de personnages, autant de récits de la passion et du désaveu, a priori éloignés, que sans hâte mais avec beaucoup d’art, l’auteur rassemble. Si ces récits se font écho, c’est que les personnages ont des liens familiaux compliqués. L’univers colonial est bien plus qu’un décor : entre 1899 et les années 70, entre Zanzibar et Londres, c’est tout un monde qui se défait. On découvre d’abord une contrée haute en couleur, entre les colons insupportables et les indigènes fiers de leur honneur. La première scène, très drôle, où le marchand Hassanali, découvrant un blanc mal en point à côté de la mosquée, juste à l’heure de la prière, est partagé entre son devoir de muezzin » intérimaire « et l’impératif de secourir l’étranger, fait ainsi se côtoyer deux mondes peu proches. On suit le destin de cette île dévastée par les conflits de la décolonisation, que le narrateur a quittée pour faire ses études, contraint par les événements à rester une vingtaine d’années coupé de sa famille. Finalement, il y retourne dans l’espoir de réconcilier les mémoires. Le lecteur se trouve pris dans un roman de moins en moins » exotique « , et dont la narration se resserre autour de ce » je « , dans une odyssée intime. Ce qui paraissait étranger, dépaysant, pittoresque (le munzgu - l’Éuropéen - blessé et recueilli par un indigène, vivant au vu et au su de tous, colons et » sangs mêlés ", une liaison avec la sœur de celui-ci) échappe à l’anecdote pour se mêler au mythe.
Tour à tour conte, enquête, intrigue coloniale, témoignage choral, épopée faite d’ellipses, ce deuxième livre d’Abdulrazak Gurnah est une généalogie de l’amour, tout en retenue, un beau roman sur l’incompréhension et l’intrication secrète des vies, et sur lequel, incidemment, flottent une ironie et une amertume singulières.
Adieu Zanzibar
d’Abdulrazak Gurnah
Traduit de l’anglais par Sylvette Gleize, Galaade,
310 pages, 21 €
Domaine étranger Adieu Zanzibar
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Adieu Zanzibar
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°106
, septembre 2009.