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Poésie Souffle coupé

octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107 | par Emmanuel Laugier

Dix ans d’écriture, de 1986 à 1996, nous sont donnés en trois livres majeurs de Jacques Dupin : de Contumace à Le Grésil, une expérience minéralogique à la respiration heurtée.

Le ballast borde les rails des réseaux ferroviaires. Il se tasse et équilibre l’alignement des voies. C’est une matière aussi ancienne que le goudron du macadam tel qu’à la fin du XIXe siècle le quidam pouvait le fouler. Par-delà la métaphore, et l’aspect minéralogique que le mot donne à sentir, « Ballast » est le titre du second chapitre de Contumace, le premier livre de Jacques Dupin refusé par Gallimard, et immédiatement accepté par P. O. L. Avec Contumace le ballast devient un mot de passe de l’endurance de l’écriture et de ce qu’elle doit retourner sur elle-même pour s’avancer vers son propre déséquilibre. Les mots du poème sont jetés par la pelle du jour dans la nuit des fossés, ils s’entrechoquent, noirs sur blanc, « sans la chiennerie du papier », poète étant alors « casseur de pierres, malgré soi, au futur ». La violence y devient littérale, les métaphores hermétiques des livres antérieurs sont écrasées par cette voix revenue rincée de l’expérience qu’elle a du dehors, jusqu’à l’os du mot coincé dans la gorge. S’employer à le sortir dans sa nudité effarante définit toute la tâche de ce « métier de pointe », que René Char caractérisait comme celui du poète : « sonore chaîne, aux maillons brisés/ en chaque mot, clivage, blessure, gravière // la structure contradictoire du cristal en chacun, / et l’écartèlement de sa fourche » fait claudiquer l’équilibre du pas sûr, le conduisant à « un troisième chemin parmi les décombres… » Écrire, pour Jacques Dupin, dessine la jetée des « graminées du ballast », suit le filage d’un « rail étincelant jusqu’à la verrière // des machines » abandonnées, s’accable et se donne à l’abandon des terrains vagues où l’humanité s’est perdue.
Contumace, le mot, s’il dit le refus du prévenu de comparaître devant le tribunal qui le convoque, appelle ici une résistance. Peut-être est-il même le signe que nous ne sommes plus que face à la dévastation de l’espèce humaine, sans jugement possible sinon celui de la réprobation infinie que nous feront tous les morts déportés du nazisme.
La rage de ce livre, la plus féroce peut-être comparée à celle de Échancré et de Le Grésil, s’affirme expressément politique. On ne peut pas ne pas penser ici, quand « tout agencement de mots est politique, / est vacant, glacé, / appelle une lecture politique », à ce qui aura à être porté d’Auschwitz après Celan. Jacques Dupin ne tergiverse pas avec cette question, il la prend en bloc comme la possibilité même de l’écriture « afin de transcrire sur un genou le nombre / et l’éclat, qui nous déchirent, nous projettent ». La balle de l’écriture, Échancré ne cessera de la nommer, jusqu’à faire même de son intransitivité la traversée de son geste le plus pur. Afin que le crâne de celui qui s’écrit explose presque d’un seul coup de ce qu’il aura su ramener à lui comme sa raison. Écrire est à ce prix la condition de solitude de celui qui meurt avec tous les sujets de l’hécatombe, mais aussi ce qui tourne avec un ciel trop bleu : « fragmes », sa seconde partie, litanie du corps qu’aura à se trouver l’acte d’écrire lui-même, en traverse toutes les strates, d’écrire « sans recul, dans le noir, dans la doublure, dans la duplicité, du noir… » à « traduire en geste, peut-être pour sa survie » les mots d’un papier froissé pour un vieil algérien analphabète. Écrire y étant ici le reste d’une après-humanité : « écrire, un mourir qui ne finit pas de s’éteindre entre mes doigts, de rougeoyer sous la cendre, et de reverdir sous l’abrupt de la falaise, comme une naissance de l’un adossée à l’agonie de l’autre ».
Ici tout sera dit, et tout sera à reprendre dans l’éclaboussure infinie de la voix ténue de Jacques Dupin.

Ballast de Jacques Dupin
Poésie/Gallimard, 346 pages, 7,60

Souffle coupé Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°107 , octobre 2009.
LMDA papier n°107
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