Il est des livres qui nous font voyager : certains nous dépaysent seulement, certains nous font carrément perdre le nord. Les Contes du chemin de fer sont de ceux-ci. On entre par la porte de la chronique en mosaïque d’un village d’Ouzbékistan, et l’on s’égare dans un labyrinthe d’histoires toutes plus drôles, sensuelles et cyniques les unes que les autres, contes de la foi, de l’érotisme et du « progrès ». Ce qui est sûr, c’est que tous les rails du fameux chemin de fer de Guilas mènent à la littérature. Dans ce roman retors et fantaisiste, Hamid Ismaïlov met en scène plusieurs générations de personnages, des mollahs, des vieillards, des enfants bientôt circoncis, des femmes désirantes, des hommes disparus, des lâches, des « gardiens » du communisme…Tout ce joyeux monde est mêlé et mouvant. Car l’Asie centrale au vingtième siècle est dominée par les dieux changeants de l’empire soviétique. De la soviétisation à outrance (collectivisation forcée, déportation des populations kirghizes, tatars, ingouches…) au dégel brejnévien, en passant par les lointains échos de la « Grande guerre patriotique » - la Seconde Guerre mondiale - et de la terreur stalinienne, aucune péripétie romanesque n’aura manqué. Dans le récit multiple et savoureux de Hamid Ismaïlov, le train de l’Histoire est pourtant passé quelque part à côté de Guilas. De l’art de l’ironie et du détour. Ce qui importe au fond, c’est sûrement le désir de conter, car tout cela pourrait bien n’être que le fruit de l’imagination d’un écrivain incertain, Houmer le bien-nommé…Version ouzbek des Mille et une Nuits avec un soupçon d’Odyssée, ce roman atypique et atemporel, qui est le premier de l’auteur traduit en français, est une véritable surprise.
CONTES DU CHEMIN DE FER
de HAMID ISMAILOV
Traduit du russe par Luba Jurgenson et Anne Coldefy-Faucard, Sabine Wespieser, 264 p., 23 €
Domaine étranger Chemin de fer
novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Chemin de fer
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°108
, novembre 2009.