Il n’y a pas de catégories ou de genres, dans notre maison », déclarait souvent Christian Bourgois. Ce refus d’inscrire chaque œuvre dans une case prédéterminée, caractérise la politique des éditions qu’il a fondées en 1966 et leur a valu de constituer au fil de quarante années de trouvailles, l’un des plus beaux catalogues de l’édition en France.
Élève de l’ENA en 1959, Christian Bourgois en démissionne pour rejoindre René Julliard, rencontré quelques années plus tôt, et dont il devient le directeur adjoint. À la mort de ce dernier, en 1962, il lui succède et commence à publier des auteurs étrangers encore peu connus, dont, dès 1963, deux futurs Nobel : Pas de lettre pour le colonel, de G. García Márquez, et le premier texte en France d’un auteur soviétique sorti dix ans plus tôt du goulag, A. Soljenitsyne (Une journée d’Ivan Denissovitch).
C’est suite au passage des éditions Julliard aux Presses de la Cité, en 1965, que Christian Bourgois crée, l’année suivante et en compagnie du fondateur des Cahiers de l’Herne, Dominique de Roux, la maison d’édition qui porte son nom. Dès le début, il souhaite « avoir pour seul manifeste les livres publiés » dans un esprit d’indépendance. Le roman 666, de Michel Bernard, jusqu’alors auteur de Julliard, Les Flagellants, de Carlène Polite, dont la traduction française précède la publication américaine, ou La Mort de L.-F. Céline, par Dominique de Roux, inaugurent une expérience éditoriale que son fondateur adresse, dans un entretien donné en 1966, aux « cinglés de littérature ».
La seconde moitié des années 1960 et son effervescence, le climat idéologique qui suivra les événements de Mai : tout semble permettre rétrospectivement de telles entreprises. La rénovation par Christian Bourgois, en 1968, de la collection 10/18, qui restera longtemps la sœur aînée de sa jeune maison, incarne les possibilités d’un temps où les sciences humaines explosent, où les œuvres du Nouveau Roman paraissent à côté de celles, complètes, de Kipling ou de Lénine, et où des recueils de poésie contemporaine se vendent, en poche, à plusieurs milliers d’exemplaires, comme Jukeboxes d’un certain Claude Pélieu, en 1972.
C’est justement par l’intermédiaire de Pélieu, parfois décrit comme le « seul beatnik français » ainsi que de son épouse Mary Beach, que Bourgois a découvert et publié les œuvres des auteurs beat américains. Burroughs (La Machine molle, 1968), Ginsberg, Kaufman ainsi que Giorno, Rothenberg ou McClure, certains initialement prévus pour figurer chez Julliard, débarquent en France à la fin des années 60. Pélieu inaugure à cet égard une série de « passeurs » qui contribueront à faire de la maison d’édition, plus qu’un navire piloté par un seul, une entreprise collective de curieux et de dénicheurs.
« Ce n’est pas l’éditeur qui suit le goût des lecteurs, ce sont les lecteurs qui suivent l’éditeur. Dans le premier cas, il s’agit d’un autre métier que le nôtre. » Dominique Bourgois
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Éditeur L’héritage Bourgois
La disparition de son fondateur, en 2007, n’a pas modifié le credo de la maison de la rue du Bac : transmettre, une par une, les œuvres majeures de la littérature étrangère, en vertu d’une indépendance, peu à peu gagnée.