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Intemporels Montagne suisse

février 2010 | Le Matricule des Anges n°110 | par Didier Garcia

La Grande peur dans la montagne

Vingt ans avant le début de cette histoire, un alpage a été le théâtre d’événements tragiques que les anciens du village ont attribués à des causes surnaturelles, d’autant plus mystérieuses, pour cet univers où les croyances ont la peau dure, que la mort est venue leur prendre des hommes robustes et dans la fleur de l’âge. Cela se passait au début du siècle dernier, dans le canton du Valais, dans un pâturage nommé Sasseneire, situé sous un glacier à 2300 mètres d’altitude, c’est-à-dire « au-dessus de la bonne vie » et « au-dessus des hommes ». Dans la mémoire des anciens, la tragédie est encore bien présente, mais pour les jeunes, ce sont simplement de vieilles histoires, ou, pour le dire autrement, du passé, quelque chose qui n’a aucune raison d’encombrer leur présent - d’ailleurs, on n’a jamais su exactement ce qui s’est passé là-haut. Et ce sont naturellement les idées de la jeunesse qui prennent le dessus lorsqu’il est soudain question, pour la santé économique du village, de réhabiliter l’alpage et d’y expédier une partie du cheptel.
Il est donc décidé que quelques hommes y passeront les trois mois d’été. Et comme vingt ans plus tôt, ils se retrouvent de nouveau à sept, des gars solides pour la plupart, qui ne s’en laisseront pas facilement conter. Parmi eux, vous avez Barthélemy, le seul rescapé de l’expédition précédente, nanti d’un papier dûment béni censé le protéger, vous avez Clou, qui va passer l’essentiel de son temps à chercher de l’or (et à en trouver), Joseph, présent sur l’alpage pour gagner de l’argent et pouvoir épouser Victorine, avec, à leurs côtés, soixante-dix bêtes à surveiller, à maintenir sur l’alpage, à traire, et plus tard, quand les choses se seront gâtées, à abattre.
Là-haut, au milieu de nulle part
Quelques jours après leur arrivée (et donc après leur départ que l’on a fêté), le plus jeune d’entre eux tombe malade, d’une maladie qu’au village personne ne comprend, et que l’on peine à soigner (le petit Ernest ne n’en remettra d’ailleurs pas). Puis c’est au tour des bêtes d’avoir « la Maladie », que l’on s’abstient de nommer, comme s’il s’agissait d’un mot à la fois dangereux et sacré, peut-être capable à lui seul de contaminer le reste du troupeau, mais derrière lequel on devine la fièvre aphteuse. Le village prend aussitôt les mesures qui s’imposent : les bergers sont mis en quarantaine, et on leur interdit tout retour dans la vallée (un poste est d’ailleurs établi en bas du chemin, et les veilleurs, qui se relaient toutes les quatre heures, ont pour consigne d’ouvrir le feu). Là-haut, la vie continue, tant bien que mal. Puis les catastrophes se succèdent, comme pour rappeler qu’un malheur n’arrive jamais seul : un jeune du village se mutile en maniant une arme à feu, Victorine, la fiancée de Joseph, se tue en tentant de le rejoindre, et lors de sa sépulture, une poche d’eau retenue à l’intérieur du glacier s’effondre soudain sur la vallée. Au final, une partie du village est emportée par les eaux (les villageois mettront une bonne année pour le nettoyer), toutes les bêtes ont péri, et des sept bergers du départ il n’en reste plus que deux, mais dont on n’a plus jamais entendu parler.
L’histoire tiendrait du simple fait divers sans l’habileté de Ramuz (1878-1947) à créer une atmosphère et peindre un univers avec des mots simples, en ajoutant ici une ombre, là un nuage, ailleurs un bruit, une inquiétude qui s’affiche sur un visage. C’est presque toujours pesant, d’une lourdeur, d’une lenteur et d’une sécheresse qui accablent. On a d’ailleurs l’impression que la tragédie va se produire à la ligne suivante (au plus tard à la page qui suit), mais à chaque fois il n’en est rien, le roman continue, avec cette angoisse qui imprègne chaque phrase et qui harcèle le lecteur. Là-haut, on se découvre vraiment au milieu de nulle part, ou en plein cœur du silence, ce qui revient un peu au même, entouré d’obscurités qui n’ont rien d’engageant, cerné par une solitude inhospitalière, sous un ciel qui compose ses arrangements à lui et n’en fait souvent qu’à sa tête.
On ne sait trop qui est le coupable finalement, si c’est la montagne elle-même, élevée par Ramuz au rang de personnage principal, laquelle peut être méchante, et ne permet pas qu’on vienne n’importe où, aimant à se réserver certaines places, ou si c’est le Diable en personne, ou une sorte de malédiction qui s’abat sur le village toutes les deux décennies. De même que l’on ignore ce qui s’est réellement passé vingt ans plus tôt, on quitte ce livre sans en savoir davantage sur ce nouvel épisode. L’histoire emporte avec elle son secret (qui a des allures de chaos, voire d’apocalypse), et c’est sans doute mieux ainsi. Au lecteur de faire le reste, de donner un sens à ces pages, ou de les prendre pour ce qu’elles sont : de la belle littérature.

La Grande Peur dans la montagne
de C.F. Ramuz - Grasset, « Les Cahiers Rouges », 210 p., 8 e. À signaler : une édition limitée, illustrée d’aquarelles de Samivel (Nevicata, 240 p., 25 )

Montagne suisse Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°110 , février 2010.
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