C’est un livre flottant et fuyant, énigmatique. Selon son propre titre, quelque chose en lui s’est fiché, jusqu’à bouleverser, presque paisiblement, la suite d’une journée donnée. Lespiau le dit bien : « un jour férié essaie de tuer la journée ». Le jour férié, intercalé dans la semaine laborieuse, fait, telle est l’hypothèse de départ, un vide au milieu des gestes ordinaires. Il suspend en somme le déroulement linéaire du temps, les perceptions deviennent floues, mais aussi très précises, selon l’espace qu’elles visent. Des procédures sont en route, une femme entre, puis il est question d’un couteau, d’un possible meurtre, d’écrans et d’une radio lointaine, de pièces, de neige et d’un chalet. De contrôle, de surveillance, peut-être, le tout glissé à l’intérieur d’un poème-cinéma d’où toutes les images se seraient absentées. Écoutons, par exemple, cette précision : « des chorégraphies de doubles, de multiples renversements de paupières noirs, rouges, bruissant à chaque clignement des yeux, front posé dans la main, coude sur la tablette d’un train tremblée. Le paysage choisi défilait longtemps. (…) Aller vite assis pensant m’endormait/ dans le sommeil l’heure plus lourde passait avec rapidité, s’enfonçant comprimée à l’intérieur des mots en suspens ». Les pages suivantes font comme si elles avaient été arrachées d’un autre cahier, d’autres gestes, actes, prennent le relais, toujours dans la distance de l’irréalité d’un rêve, d’un cauchemar, ou dans celle d’une image virtuelle glissée entre les pensées : « D’autres d’ailleurs le savaient éteindre ou rallumer l’écran pour voir quelque chose se contrebalançaient en cercle dans la lumière ». Ce genre de léger décalage grammatical trouble la phrase qui, alors, va inventer en elle d’autres procédures perceptives. C’est la force de Lespiau que de s’y tenir, et de continuer à écrire avec une sorte de stylo-caméra, à l’exemple de ce cadrage pictural : « Les gants jetés avec le torchon formaient dans le coin une boule affaissée ressemblant à un reproche, une inimitié. »
Férié
de David Lespiau
Postface d’Emmanuel Hocquard, Les Petits Matins,
86 pages, 12 €
Poésie Férié
mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Férié
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°111
, mars 2010.