Au théâtre, il y a le côté cour et le côté jardin, la scène et les gradins, le dedans et le dehors. Dans un récit, tout s’embrouille plus facilement. Benoît Caudoux a écrit un livre décalé, poétique, doucement déjanté, et qui se tient à la lisière, sans jamais livrer le couloir secret qui fait communiquer les lieux. Texte indocile, Sur quatorze façons d’aller dans le même café se tient au rebord des mots, et de la conversation plausible qui s’engage entre deux ou plusieurs êtres dans un café, dans la rue, chez soi, ou encore ailleurs. Il faut prendre le temps de le suivre dans sa minutieuse et retorse chorégraphie de l’espace intime et se laisser contaminer joyeusement par son atmosphère. Un homme, qui essaie d’aller quelque part. Fragilement, intensément. Surtout, ne pas définir, ne pas tracer de contours, chercher à identifier, qualifier. Mais rester à l’épiderme d’une géographie tremblante, d’un cheminement tout personnel où l’on croisera la Bulgarie, l’Australie, et d’autres traces de continents et d’escales possibles, intérieures. Au fond, il n’est pas tant question de passer le temps que d’emplir l’espace, le gonfler comme une bulle, le frotter à d’autres énergumènes, et devenir soi-même une forme plastique : « je vais au café en gnou, en écureuil, en ours. J’y vais en alpaga. Ce ne sont pas les mêmes règles. J’y vais en petite fille et j’y vais en vieux juif, de différentes époques. (…) J’y vais en quartz parfois, ou j’y vais en fossile de trilobite russe. » La jolie leçon d’existence ou d’habitation de ce livre étonnant est de surtout ne pas se fondre.
Rester à la surface, comme le fit Nathalie Sarraute avec ses Tropismes, peut être encore le meilleur moyen d’atteindre sinon un lieu, du moins un point de convergence, de fuite. Savant point d’entente et de connivence avec le lecteur.
Sur quatorze façons d’aller dans le même café de Benoît Caudoux
Léo Scheer, 169 pages, 17 €
Domaine français Partir
avril 2010 | Le Matricule des Anges n°112
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Partir
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°112
, avril 2010.