Le théâtre d’Angelica Liddell n’est pas un théâtre de l’interlocution. Imaginer un « parler ensemble » sur scène, ce serait en effet déjà une manière d’accorder les points de vue, de les rendre conciliables : le dialogue, au théâtre, c’est déjà une forme de paix. Or, c’est le conflit qu’explore le théâtre d’Angélica Liddell, qui a fondé pour cela en Espagne une compagnie baptisée Atra bilis, invitée au prochain festival d’Avignon.
Baltasar est venu en Serbie à la demande de son père, célèbre juriste et prix Nobel, afin d’enquêter. Il erre dans Belgrade, parcourt les environs, rencontre Serbes, Croates, Bosniaques ou Kosovars, tandis que la Serbie, privée de ses rêves de grandeur enterre Milosevic, mi-endeuillée, mi-soulagée. Les bribes et les fragments d’un pays en reconstruction, les notes que Baltasar rédige dans son carnet ou le fruit de ses échanges avec Agnès, « spécialiste des Balkans » échouée là : la pièce est constituée de tout cela. D’où sa discontinuité. D’où aussi l’échec, qui est la leçon de ce théâtre. Plutôt que de déboucher sur une reconstruction, le carnet de Baltasar entraîne en effet la perte progressive des repères et le naufrage de son auteur. Nationalisme, ressentiment, soif de vengeance : les Balkans paraissent un conflit trop complexe, trop insaisissable, et ses raisons trop profondément enfouies en chacun.
C’est cependant l’engagement du théâtre de Liddell que cet échec caractérise. Point de distance ou de dénonciation ici, mais un contact immédiat avec ce qui est décrit. Les soliloques des personnages se rencontrent, chacun porteur d’une idéologie propre, et semblent irréconciliables. Angelica Liddel conforme ici son écriture à une réalité éclatée où les discours s’affrontent les uns les autres et où seul triomphent le relativisme et la noirceur, tandis que sombrent les bonnes consciences : « Vous vous félicitiez à Paris, dans votre démocratie parisienne, dans votre mois de mai, dans votre printemps, pendant que l’est de l’Europe crevait de faim et d’obscurité, tout l’est de l’Europe était une cave, une cave putride. »
Belgrade d’Angélica Liddell
éditions Théâtrales, 112 pages, 14,50 €
Théâtre La fosse des balkans
juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un livre
La fosse des balkans
Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°114
, juin 2010.