L’« Année France-Russie » aura apporté son lot de bonnes surprises et, parmi celles-ci, le très inattendu Passant par la Russie, un récit de voyage du comédien Denis Lavant. Un premier livre que rien ne laissait deviner, hormis… un goût certain pour les livres. Acteur emblématique du cinéaste Leos Carax, pour lequel il a joué dans Boy meets girl (1983), Mauvais sang (1986) ou Les Amants du Pont-Neuf (1991), Denis Lavant a de longue date été remarqué pour sa présence irradiante, parfois même stupéfiante - nos concitoyens les plus jeunes connaissent l’extraordinaire « M. Merde » dont les tribulations grotesques et criminelles ont de quoi défrayer la chronique. Une gestuelle toute personnelle imprime profondément dans les esprits l’image de cet homme noueux et pourtant vif, élastique, incroyablement énergique et vivant, dont la voix peut faire vibrer les atmosphères. « L’instrument d’un comédien, déclarait-il il y a dix ans, c’est son corps, c’est pas seulement sa voix, son visage, c’est tout son organisme. Physique et cérébral. pour moi, c’est presque un pléonasme » (Objectif cinéma). Pour saisir le personnage, il faut encore ajouter à sa définition la poésie, car il est, profondément, un homme-poème, doublé d’un extraordinaire diseur. Spectacles dramatiques et lectures de poésie composent d’ailleurs l’autre part de son activité professionnelle : on a pu voir son « Joë Bousquet » au Théâtre de la Bastille il y a peu, et il multiplie les lectures à travers le France, durant lesquelles il met en voix Jean-Pierre Martinet et des écrivains contemporains comme Céline Minard.
Fasciné de longue date par le monde slave, Denis Lavant s’est trouvé il y a quatre ans invité à lire au cœur du territoire russe des poèmes français. Et c’est sur les conseils du critique Jean-Pierre Thibaudat, croisé un jour, qu’il a dépassé le cap des notes éparses pour composer son livre. Sous la forme de trois récits entrecoupés de « glossaires » postérieurs et ludiques où foisonnent les explications, les références personnelles et les inventions, Passant par la Russie est en outre construit autour d’une langue personnelle, plutôt chantante, parfois chantournée, celle d’un comédien habité par les mots, par les phrases, et par le fleuve qu’ils forment. Gorgé qu’il est de littérature, Denis Lavant en a mis dans ses pages, autant que de cœur et d’esprit. Une réflexion sur son art et ses rapports à la poésie se mêle au jour le jour à ses commentaires de voyageur troublé par l’âpreté des existences, enthousiasmé par le bleu qui réjouit les villes, les êtres qu’il croise, les paysages qu’il traverse, embarrassé par les « revizor » des compagnies de chemin de fer, envahi par les textes qu’il laisse monter dans sa gorge. Son « ethno-poétique » émue, fruit d’un « voyage extasié », forme un nouvel appel de l’Est.
Denis Lavant a fait mouche : il est le parfait chantre du russe, de la Russie et de la poésie, le meilleur agent touristique de Samara dont on aimerait désormais...
Entretiens Très russe
juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114
| par
Éric Dussert
Comédien notoire, Denis Lavant est aussi un formidable diseur de poésie. D’un voyage en Russie, il rentre avec un premier livre singulièrement ému.
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