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Des plans sur la moquette Vivre, s’est étranglé le père

juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114 | par Jacques Serena

Fin avril dernier. Je viens de finir ma lecture publique à Angers. Une fille vient vers moi et me parle, directe, naturelle, rieuse. Et moi, tout de suite, sidéré, capté. C’est peu dire, charmé, carrément, moi. On ne décide rien, je la suis, jusqu’à tard dans la nuit. Je pourrais m’attarder sur quand elle regarde l’église à travers son verre de bière et dit avec gravité : c’est comme ça que les Hongrois ont dû voir le château du prince Vlad. Ou quand, au bord du fleuve, sous la pénombre argentée de la lune, elle me dit avoir passé enfance et adolescence au bord de sa rivière à Iasi à jouer avec les grenouilles. Ou quand elle ôte simplement sa robe par le haut pour mieux courir sur la berge en criant. Avec de plus en plus d’étoiles chaque fois qu’on regarde le ciel. T’as pas l’impression toi qu’elles finiront par nous avoir, le genre de question qu’elle pose. Et encore ci ou ça, mais je préfère réfléchir à l’impression que ça m’a fait, de liberté belle et juste, de vérité, d’évidence. Et tenter, autant que faire se peut, de comprendre pourquoi. Peut-être parce qu’elle a grandi loin, n’a pas encore vécu trop longtemps par chez nous. N’a pas encore trop eu à se conformer. A faire comme les usagers, craindre pour la sécurité, pour l’avenir, se tenir à carreau, croire aux raisons données pour. Et là, je repense à la fameuse expérience faite par des experts sur les trois types, le candide et les deux compères incognitos, une question posée, les deux compères affirment tout de go une mauvaise réponse, et automatiquement le candide s’aligne sur eux. Voilà la vie en société. Et quand on révèle la ruse au candide, il nie avoir été influencé, jure mordicus avoir cru par lui-même à la réponse bidon.
Mais la fille, pour en revenir à elle. La raison de son authenticité, de son charme. Peut-être parce qu’elle a grandi seule, loin des usagers. Et là me revient l’envie de retrouver en moi authenticité et charme, en trouvant un coin où m’isoler. Ce vieux rêve d’être seul, d’avancer dans la direction que l’on veut à son propre rythme. Alors qu’à marcher parmi les usagers, fatalement, soit on passe son temps à bousculer, soit on suit le mouvement, va où ils vont à leur rythme. Et, bon sang, qu’ils sont lourds, les lourds d’aujourd’hui.
Elle, par exemple, quand elle m’a parlé des périodes où elle était malade. Ces doux échos qu’elle a éveillés en moi. En disant que son mal et elle s’entendaient. Son mal ne lui arrivait pas n’importe quand ni pour rien, il venait lui faire un moment où s’arrêter et réfléchir, voir les choses autrement. Juste une autre phase dans le cours de sa vie. Malade, elle se fait tranquillement son temps de fièvre. Elle sent, au fond, que son mal s’en ira dès qu’il ne sera plus approprié pour elle. Son mal et elle ont toujours joué ensemble et pas l’un contre l’autre. Son mal n’est pas quelque chose d’étranger qui vient du dehors. Alors que, pour l’usager moyen, ça ne fait pas un pli : être malade est mauvais, et donc, à la moindre alerte, il fonce se décharger de sa maladie sur son médecin, pour au plus vite être rendu compétitif comme devant.
Et moi, donc, en l’écoutant elle, m’est revenu que, jusqu’à tard dans ma vie, avant de trop coudoyer les lourds, je sentais les choses comme elle. Et pourquoi donc m’étais-je renié, avais fini par m’aligner sur eux. Le fait que la majorité croit une chose n’était-ce pas une preuve suffisante que cette chose était crétine.
Pour le coup, me revient ce qui m’avait plu chez le vieux Sigmund. Quand il disait, en gros, que société et névrose allaient de pair. Que l’édifice de la société reposait sur le refoulement, le principe du renoncement, de non-satisfaction des instincts, sans parler des désirs. Il est clair qu’aujourd’hui la société est allée trop loin. On ne peut demander à aucun être, fut-il un usager lourd, de sans arrêt renoncer à tout. Il va s’ivrogner, jeter des boulons, se pendre, crier un gros mot. Et les dirigeants auront beau rabâcher que force doit rester à la loi, tolérance zéro et devoir de réserve. Moi, cette fille d’Angers m’a cette nuit-là fait comprendre à quel point sans elle on est désormais tous condamnés à perpète à la frustration légale ou aux échappées belles prohibées. Et, pour le coup, je me prends à croire qu’on est de plus en plus à le sentir. Que l’hostilité envers l’organisation de la société se généralise. Mathématique : l’impossibilité d’intérioriser les pléthores d’interdits crée malaise et rancœur. Et là me revient le dialogue entendu dans un bus de Roubaix, ce père demandant à son fils ce qu’il voulait faire. Je voudrais juste vivre, a dit le fils. Vivre ?, s’est étranglé le père. Mais tu sais combien je gagne ? Le vieux Sigmund, encore lui, disait déjà qu’une société qui laissait à ce point insatisfaits un aussi grand nombre de participants et les condamnait à la maladie ou à la rébellion avait peu de chances de se maintenir durablement et ne le méritait pas.

Vivre, s’est étranglé le père Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°114 , juin 2010.
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