Une pratique dévote – bigote ? – pousse certains croyants à aller chercher au hasard, chaque matin, une phrase de la Bible afin qu’elle préfigure et guide la journée qui débute. Peut-être Frédéric Schifter procède-t-il de même – mais c’est chez Nietzsche, Montaigne, Proust et leurs semblables qu’il va cueillir quelque maxime ou aphorisme. C’est autour de tels adages ou oracles (ainsi, de Chamfort, « La meilleure philosophie, relativement au monde, est d’allier, à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l’indulgence du mépris ») qu’il construit cet essai méditatif – rapide mais plein de vigueur et d’alacrité. Mêlant des « réflexions, tantôt personnelles, tantôt didactiques » à des pages plus narratives (certaines autobiographiques), il nous propose une sorte de bréviaire du pessimisme heureux. En effet, « d’une part, il y a le grand nombre des pessimistes malheureux que l’inexistence du monde terrorise tant qu’ils se convertissent à l’optimisme du salut et gobent les bluffs éthiques (…) d’autre part, il y a le petit nombre des pessimistes heureux, qui eux, volens nolens, s’accommodent du pire et prennent parfois le parti d’en rire – car ils ont ce sens de l’insignifiance que l’on appelle l’humour ». Plus proche peut-être de Perros que de Cioran, Schifter prône donc une sorte de dandysme souriant : il contemple à distance « les indigènes du prosaïque », leurs folies pathétiques, leurs masques et leurs impostures, et se réfugie dans l’otium que pratiquaient les sages antiques – mais sans l’ambition d’y trouver une maîtrise de soi qui ne serait qu’une illusion plus orgueilleuse encore. Son « acosmisme » – « l’incapacité à se représenter la réalité sous la forme d’un monde » – ne le conduit pourtant pas au désespoir : une solitude bien remplie par la pratique conjointe de la lecture et de l’écriture, le plaisir esthétique, le désir de certaines femmes (« Bien mené, le flirt est une maïeutique »), et surtout la lucidité peuvent encore rendre la vie vivable.
Thierry Cecille
Philosophie sentimentale
Frédéric Schifter
Flammarion, 187 pages, 17 €
Essais Philosophie sentimentale
octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117
| par
Thierry Cecille
Un livre
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°117
, octobre 2010.