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Domaine étranger Le regard d’Ulysse

octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117 | par Thierry Cecille

Voyageuse experte et patiente, Olga Tokarczuk explore le labyrinthe du monde : celui des latitudes et des longitudes – mais aussi celui, intérieur et énigmatique, de l’homme.

Qui sont les pérégrins ? La quatrième de couverture nous informe que les « bieguny » (titre original) sont des « marcheurs », les membres d’une secte religieuse russe qui pensaient que la marche était le seul moyen d’échapper à l’emprise du Mal. Les « pérégrins », quant à eux, sont absents de la plupart des dictionnaires : ce sont bien sûr les pèlerins d’autrefois, qui nous léguèrent leurs « pérégrinations » : « Vx. Voyages en pays lointain. Mod. Déplacements incessants en de nombreux endroits » (Le Petit Robert). Peut-être la traductrice (voir Lmda N°116) a-t-elle rencontré cette désignation anachronique et poétique chez Bouvier, autre voyageur tenace, qui publia, en 1996, L’Echappée belle, éloge de quelques pérégrins… Toujours est-il que c’est bien à une sorte d’échappée, en effet, de libre exploration, à la fois hasardeuse et maîtrisée, qu’Olga Tokarczuc nous invite ici. Nous la suivons, à travers plus d’une centaine de textes de format variable, allant de quelques lignes à plusieurs dizaines de pages, de la Pologne à l’Australie, de Moscou à Amsterdam, mais aussi dans les lacis des cartes de géographie ou les entrailles de corps soumis à la « plastination » ou conservés dans quelque muséum d’Histoire naturelle ou autre Kunstkammer (Cabinet de curiosités).
Nous retrouvons ici l’écriture méticuleuse et métaphorique en même temps qui donnait aux Récits ultimes (voir Lmda N°88) sa précision et sa transparence, mais la construction rigoureuse du roman a laissé la place à une sorte de liberté de mouvement, d’improvisation – contrôlée cependant – que le thème ici exigeait. Il lui faut en effet de dire l’errance, la déprise, les odyssées extraordinaires ou modestes des voyageurs, la plupart du temps solitaires, de plus en plus nombreux sur cette terre elle-même toujours en mouvement. Ce slogan pour des téléphones portables lu par hasard dans l’aéroport de Moscou le dit bien, véritable oracle impromptu : « mobilnost’ stanovitsa realnostiu – la mobilité devient une réalité » !
Pour parvenir à rendre cette mobilité, il fallait inventer une forme : aux fragments autobiographiques succèdent donc des récits biographiques (ainsi à propos de Philippe Verheyen, qui découvrit le tendon d’Achille, ou de Louise, la sœur de Chopin, rapportant secrètement le cœur de son frère dans sa Pologne natale…), les nouvelles (parfois très courtes, parfois bien plus longues et découpées en plusieurs fragments disséminés à l’intérieur de l’œuvre) sont entrecoupées par des méditations personnelles. Il arrive que notre attention parfois se relâche, nous doutons de la nécessité de certaines pages, parfois répétitives, parfois un peu moins tenues – sans doute était-ce là le risque, assumé, de l’entreprise. Il s’agit en effet d’une sorte de vagabondage car ce qu’elle poursuit sans cesse s’enfuit : « J’avais beau troquer la vie, elle m’échappait toujours. Je ne tombais que sur ses traces, les pauvres restes de ses mues (…). Dans ce que j’écrivais, la vie prenait la forme d’histoires incomplètes, d’historiettes oniriques aux intrigues obscures. » N’y a-t-il pas en chacun de nous quelque chose d’Ulysse, retardant inconsciemment le moment du retour, préférant le souvenir à la réalité, cultivant pendant dix ans une nostalgie capable d’inventer des récits ? « Avec l’âge, la mémoire commence à entrouvrir peu à peu ses abîmes d’hologrammes, des jours en repêchant d’autres, comme au bout d’une ligne. » Le voyageur ne reprend-il pas le chemin, quoi qu’il arrive, pour nourrir cette mémoire, douloureuse et vibrante à la fois ?

Thierry Cecille

Les Pérégrins
Olga Tokarczuk
Traduit du polonais par Grazyna Ehrard
Éditions Noir sur blanc, 385 pages, 24

Le regard d’Ulysse Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°117 , octobre 2010.
LMDA papier n°117
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