Voici un premier roman détonant, et son auteur, Olivier Benyahya, nous envoie au tapis pour longtemps. Bernard Zimmer, 82 ans, survivant d’Auschwitz, se livre, toutes plaies ouvertes, à un monologue glacial, féroce, infiltré d’une haine increvable à l’encontre du monde. Après son retour de Pologne, le vieux monsieur a toujours vécu rue du Temple à Paris, mais il a fini par déménager dans le 7e arrondissement – au moins, dit-il, « on n’ (y) croise pas beaucoup d’Arabes ». à vrai dire, ce n’est pas seulement contre les Arabes que ce misanthrope crache son fiel. Contre les pauvres, les Noirs, les Palestiniens, mais aussi contre les Polonais, les goys, ou les gamins des banlieues, il y en a pour tous. Dans ce bréviaire d’exécration, où le ressentiment obsessionnel agit comme invalidation cinglante de l’Histoire, Zimmer fustige même les Juifs qu’il accuse de n’avoir jamais su « marcher la tête haute », ainsi que de vouloir fuir, au moindre relent d’antisémitisme, à Tel-Aviv ou à New York. Un jour, il va assister à une manifestation de soutien au peuple palestinien, place de la République, où l’on finit par scander un « Mort aux Juifs ! ». Le lendemain, il tue un Arabe. Accès de vengeance ? de folie furieuse ? En réalité, ce passage à l’acte se reproduira plusieurs fois. « Il peut arriver que l’on ne se reconnaisse plus », admet-il comme en passant.
On se demande durablement ce qui nous dérange le plus dans ce livre plein de hargne écumante. évidemment, il y a cette manière odieuse de l’éreintement, ce concentré acide d’ironie jusque dans l’éloge du crime, mais cela tient peut-être à ce brouillage que Benyahya sait parfaitement créer, en nous faisant entendre aussi le tragique d’une douleur sans rémission. Otage de son passé, d’une peur lancinante à laquelle le présent des années 2000 le renvoie, Zimmer est un homme brisé, sans garantie – la raison, « la confiance dans le monde » (selon l’expression de l’Autrichien Jean Améry) ont été perdues là-bas, irrécupérables. Las, et en sursis – l’extinction finale que lui promet le grand âge – cette victime devenue elle-même assassin de l’Histoire n’a donc plus rien à perdre, et son irréconciliation intransigeante déploie des accents de haine de soi.
On reste songeur, et d’autant plus bousculé, quand on réalise qu’un tel livre a été écrit par un jeune auteur (né en 1975).
Sophie Deltin
Zimmer
Olivier Benyahia
Allia, 80 pages, 6,10 €
Domaine français Zimmer
octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117
| par
Sophie Deltin
Un livre
Par
Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°117
, octobre 2010.