Il règne dans ce livre une drôle d’atmosphère, une « inquiétante étrangeté », pour parler comme qui vous savez. Dans ce recueil d’une douzaine de nouvelles, de quoi est-il question ? De trouble, d’égarement, de dérèglement. Tous autant qu’ils sont, les personnages de Stéphane Beau sont bousculés à un moment donné de leur existence. Chacun à leur manière, brutalement, ils paraissent basculer, franchir une ligne rouge au-delà de laquelle tout est confusion et désordre. Entretenir ces situations-limite exige de l’auteur des talents de funambule car une fois engagé sur le fil tendu à bloc de la narration, il faut savoir garder le cap jusqu’au bout. La nouvelle qui donne son titre au recueil est sans doute la plus emblématique de ce que l’auteur cherche à faire : détourner le cours d’une vie à partir d’un rien, ici une chaussure « au beau milieu d’une route de campagne ». La présence saugrenue de cet objet déroute une existence dans ce qu’elle peut avoir de linéaire. Ici comme ailleurs, l’imprévu déstabilise et ce déséquilibre reconfigure, pour un instant parfois, parfois à tout à jamais, ce que nous croyons être la réalité. C’est un personnage qu’une ritournelle de Neil Young envoûte étrangement, c’est une veuve médusée par la ressemblance d’un inconnu avec son défunt mari, c’est un veilleur de nuit qui noue des relations inattendues avec les disparus. Bref, cette manière qu’a l’auteur de situer des histoires et des protagonistes à un entre-deux (ouvrant presque la porte au fantastique), c’est tout l’intérêt de ce recueil dont on regrette, pour certaines nouvelles, une issue trop prévisible. Cela mis à part, il faut voir en Stéphane Beau un genre d’équilibriste que le vide attire et repousse à la fois. Son livre est un vertige permanent, attention aux étourdissements.
Anthony Dufraisse
La Chaussure au milieu de la route
Stéphane Beau
Durand-Peyroles, 102 pages, 14 €
Domaine français La Chaussure au milieu de la route
novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Le Matricule des Anges n°118
, novembre 2010.