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Traduction Alain Huriot

novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118

Croix sans amour et Le Testament de Heinrich Böll

Le Testament (suivi de) Croix sans amour

Difficile de théoriser une activité dans laquelle on est, en permanence, confronté à des cas particuliers. J’ai abandonné la lecture d’ouvrages, souvent signés de noms illustres (Ricoeur…), qui ont tenté de le faire, dans la mesure où, pour la plupart, ils commencent par nous dire que traduire est une mission impossible… et pourtant indispensable, rétorquerai-je, le rôle du « passeur » me paraissant prioritaire. Il faut donc, avant tout, être « lisible » par le lecteur qui n’est pas en mesure de prendre connaissance de l’original, éviter le « ça sent la traduction », écrire du bon français. Pour ma première traduction, il y a… un certain temps, Monique Nathan, qui dirigeait « Les écrivains de toujours » au Seuil, m’a fait refaire trois fois mon essai probatoire, pour la raison que le Kafka de Klaus Wagenbach était le seul de la collection à ne pas avoir été rédigé directement en français. Il ne fallait pas que ça se voie. J’ai retenu la leçon.
Restons dans le concret. Le Seuil a choisi d’éditer conjointement deux textes de Böll a priori fort dissemblables. Autant Le Testament, récit relativement court, écrit en 1948, plusieurs fois remanié, finalement publié en 1981, est linéaire, sobre, maîtrisé, autant Croix sans amour, roman beaucoup plus long écrit en 1946/47, resté inédit jusqu’à la parution des œuvres complètes (2002), est emphatique, voire boursouflé, bref sentimental à l’excès. Si l’on rétablit l’ordre chronologique, on peut émettre l’hypothèse selon laquelle Böll a compris qu’il était bien meilleur dans la « forme brève ». Cela reste vrai, d’ailleurs – mais ce n’est qu’un avis personnel – pour la suite de sa carrière : les récits, dont une édition complète manque en France, sont bien plus percutants que les œuvres plus longues dont la construction peut parfois sembler artificielle.
Peu de problèmes, donc, pour Le Testament, sinon le vocabulaire militaire propre à la Wehrmacht (mais cela fait partie de notre travail pour ainsi dire routinier) et le souci de garder, voire de renforcer cette sobriété qui donne – le paradoxe n’est qu’apparent – plus de force à l’émotion que lorsque celle-ci est débridée.
Les difficultés se sont accumulées, en revanche, pour Croix sans amour. Une traduction fidèle produisait du galimatias. Les tics langagiers du (presque) débutant Böll – accumulation d’épithètes, répétitions inconsidérées, pléthore de métaphores, etc. – donnent, en français, une prose illisible. On ne sort que rarement du registre du sentiment, de l’émotion, du subjectif. Le vocabulaire ne connaît que deux catégories (« Les deux sacrements » déjà ! ) : la douceur, la piété, la résignation du personnage présenté positivement (la mère surtout), d’une part, la noirceur, la sauvagerie, l’ambition diabolique de ceux qui ont foi dans le IIIe Reich, d’autre part. Or le caractère (comparativement) plus cartésien du lecteur français n’est pas qu’un cliché. Cela crée des tabous, pour la plupart hérités de la rhétorique classique, en particulier la hantise des répétitions. Böll, ici, ne se gêne pas pour reprendre, plusieurs fois dans la même page, parfois d’une ligne à l’autre, soit « mild » (doux), soit « wild » (sauvage). Que faire ? La seule ressource, avouons-le, est le dictionnaire de synonymes. On se fait une liste et, quand on arrive au bout, on recommence, au moins a-t-on un peu creusé l’écart entre les répétitions et l’on espère les avoir rendues un peu moins voyantes. Pour les accumulations d’épithètes (on en compte parfois jusqu’à quatre), j’ai décidé de me limiter, sauf exception, à deux. Donc, encore un aveu, on coupe ! Le plus difficile à résoudre, c’est l’avalanche des « comme » et des « comme si ». A part « tel » dans le premier cas et « on aurait dit que » dans le deuxième, l’éventail des possibilités est limité. C’est un véritable handicap pour ce texte chargé d’images. Bref, j’ai fait le maximum pour alléger la lecture de ce roman, je n’ai pu en gommer une certaine lourdeur, aller plus loin eût été trahir, il faut se dire, pour aller au bout de la lecture, qu’il s’agit d’un écrivain qui se cherche, que sa thématique est déjà bien établie, mais qu’il n’a pas encore trouvé la forme qui lui convienne. On comprend que le manuscrit ait été refusé à l’époque, mais on peut aussi se dire que l’expérience négative aura été profitable au futur prix Nobel (1972) qui passera ensuite à une écriture plus serrée.
Pour le traducteur, le travail n’est pas fini. Il faut se confronter au « préparateur de copie », in fine au « correcteur », quand ce n’est pas le responsable de la fabrication qui se pique de comprendre l’allemand. Dans la grande majorité des cas, les propositions sont pertinentes (le correcteur fait, davantage encore que nous, la chasse aux répétitions, aide à clarifier certains passages peu clairs). On reste intransigeant, cependant, sur certaines règles d’accord (je me refuse à écrire : elle avait l’air affligée) ou de ponctuation (et relie, la virgule sépare, chacun doit rester dans son rôle). Après le dictionnaire de synonymes, celui des difficultés de la langue française est le meilleur outil du traducteur. Nos maîtres, à l’Université, avaient bien raison de proclamer qu’à condition, bien sûr, d’avoir tout compris, la version est d’abord un exercice de français.
Pour élargir le débat, je suis conscient du fait que ce travail, certes un casse-tête quotidien, n’est rien en regard de la tâche qui incombe aux confrères chargés de rendre, en français, des textes issus de civilisations où, au-delà des mots, ce sont les concepts mêmes qui la fondent qui sont différents des nôtres. Je les regarde avec admiration. Et même sans aller si loin, qui s’attellera au dernier Grass (semé de poèmes en prose dont le vocabulaire n’obéit qu’à l’ordre alphabétique, qui serait évidemment chamboulé en français) ? Là, il ne s’agit plus de traduire, mais de recréer. Noble tâche ! Nerval n’est-il pas le meilleur traducteur du Faust de Goethe, Baudelaire le meilleur traducteur de Poe ? Mais c’est quasiment un autre métier.

* Alain Huriot a traduit entre autres Veit Heinichen, Heinrich Böll, Joseph Roth. Croix sans amour (suivi de) Le Testament paraît ce mois-ci au Seuil.

Alain Huriot
Le Matricule des Anges n°118 , novembre 2010.
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