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Intemporels Terres sauvages

novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118 | par Didier Garcia

Immersion dans le désert en compagnie de l’écrivain américain Edward Abbey : entre chant d’amour et coup de colère.

Que ce soit dans l’Utah ou ailleurs, passer deux saisons complètes dans le désert, cela vous laisse du temps pour penser. Accessoirement pour écrire. Et pour écrire à peu près sur tout, à commencer par ce qui vous entoure, même s’il ne manquera pas des voix pour vous assurer qu’autour de vous il n’y a rien. Mais tenir plus de trois cents pages sur le désert, qui plus est sans lasser, et mieux encore en enchantant le lecteur, cela relève quand même de l’exploit.
Edward Abbey (1927-1989) a réellement travaillé comme ranger dans un parc du sud-est de l’Utah (le parc national des Arches), le genre de coin où il pouvait s’entendre penser. Ce qu’il y a vécu – c’est-à-dire vu, entendu, goûté, aspiré, respiré par tous ses pores – forme le sujet de ce livre, ou plutôt ce florilège de textes qui examinent quelques aspects du désert.
C’est donc un homme à l’état sauvage, une sorte de Cro-Magnon roulant en pick-up, que nous allons voir s’installer, non loin de Delicate Arch (l’emblème de l’état), dans ce décor taillé sur mesure pour les vies érémitiques, puis suivre pas à pas dans son exploration minutieuse du paysage qui s’étale autour de lui. Nous le découvrons dans la compagnie des oiseaux et des serpents, s’efforçant de laisser à chacun le maximum de vie, travaillant à ce qu’une cohabitation soit possible, et faisant de son mieux pour préserver ce fragile écosystème.

Coyotes, sauterelles et dictature.

Parce qu’Edward Abbey est attentif à tout ce que le désert produit, peut-être aussi parce qu’il essaie de trouver dans le décor ce qui émerveillerait un enfant, Désert solitaire prend parfois des allures d’inventaire, à vocation quasiment exhaustive pour ce qui est de la flore locale. Mais parler des fleurs qui poussent librement, sans l’intervention de l’homme, lui permet d’en venir à des idées beaucoup plus personnelles : « Qu’on lance des pavés sur toutes les serres ! Que les plantes en pot pourrissent immédiatement sur pied ! »
Au fil des pages, nous nous prenons à rêver de découvrir les lieux avec Abbey pour seul guide, à passer nos journées à visiter les canyons, ou à chercher du bois pétrifié, comme s’il n’y avait rien de plus urgent à faire dans la vie. Et nous le suivrions les yeux fermés dans ses expéditions, qu’elles soient terrestres ou fluviales, si le paysage lui-même n’exigeait pas que nos yeux restent ouverts.
Il faut dire aussi que le bonhomme a de quoi séduire, avec son moral à toute épreuve et sa grande aptitude au plaisir. En lui emboîtant le pas, nous croiserions des cow-boys d’un autre temps, des vrais, encore capables de capturer leurs bêtes au lasso, ou des Indiens Navajo, condamnés quant à eux à devenir des « Blancs marron à carte de crédit et sensibilité cravatée ». Et en chemin nous apprendrions à repérer les signatures caractéristiques de la culture touristique, toutes ces traces laissées par le « ploucus americanus »…
Que l’on ne s’y trompe pas pour autant : Désert solitaire (qui parut en 1968) n’a rien d’un guide de voyage ; c’est un tombeau. Le tombeau du désert. Lequel se double de coups de gueule qui rappellent qu’Edward Abbey est aussi l’auteur du Gang de la clé à molette, ce formidable roman qui exhorte à la désobéissance civile. Aux évocations des merveilles du désert et aux textes dignes d’un naturaliste succèdent des réflexions sur la société moderne. Tout ce qui menace son écosystème stimule sa plume. C’est ainsi qu’il milite pour la préservation des prédateurs (coyotes, lynx, pumas), décimés par des bergers soucieux de protéger leurs « sauterelles à sabots », ou fulmine contre le lobby du bétail, contre la destruction des espaces sauvages, préconisant à l’occasion l’interdiction pure et simple de l’automobile dans les parcs naturels et le retour à un hédonisme plus proche de la nature. Et Abbey de vitupérer aussi contre le « vaste diorama muséifié à quoi le tourisme industriel tend à réduire le monde naturel ». En gros : de vitupérer contre tous « les tripatouillages de l’homme dans l’organisation naturelle des choses ».
Sa conclusion a de quoi faire sourire (ou irriter) : selon lui, c’est la politique elle-même qui rend nécessaire la préservation de la nature sauvage, car si quelque jour les États-Unis sombraient sous la dictature, cette nature serait le dernier refuge d’où organiser la résistance à l’oppression centralisée.
Ceux qui ont lu Le Gang de la clé à molette savent qu’Abbey fait rarement dans la demi-mesure (pour lutter contre la construction d’une route, rien de plus efficace que la dynamite). Mais que ce soit dans ses emportements poétiques, qui font du désert de l’Utah la huitième merveille du monde, ou ses emportements polémiques, qui ravalent l’homme au rang d’animal plutôt mal dégrossi, il a toujours pour lui le mérite de la sincérité. Une sincérité qui émeut.

Didier Garcia

Désert solitaire
Edward Abbey
Traduit de l’américain par Jacques Mailhos
Gallmeister, 344 pages, 23,90

Terres sauvages Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°118 , novembre 2010.
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