Plaqué par sa femme à l’approche de la cinquantaine, Maxwell Sim se débat pour sortir d’une dépression avec le pire moyen qui soit : l’espoir. Cet être simple, à la retenue si britannique, aux circonvolutions mentales vite ramenées aux questions de convenance, antihéros parfait, est seul face à un père mutique, exilé pour préserver son secret, seul de créer un avatar pour dialoguer avec son ex-femme sur un site féminin, seul d’avoir ouvert une page Facebook – où ses amis virtuels ne l’accueillent pas au retour d’un voyage en Australie.
Mais la vie très privée dont il est ici question n’est plus qu’une chimère depuis qu’« une quantité de satellites en orbite étaient braqués sur nous en permanence (…). L’intimité, ça n’existait plus. Nous n’étions plus jamais seuls. » C’est que le monde continue à nous malaxer, nous façonner, parfois nous recracher de nous avoir bien mastiqués quand bien même nous pourrions nous croire abandonnés.
Jonathan Coe a une méthode, éprouvée par ses précédentes fresques sociologiques, pour faire ressentir cet état de choses : des récits emboîtés – lettre témoignage de l’aventure de Donald Crowhurst « tricheur tourmenté », naufragé d’une course autour du monde en solitaire sur un catamaran, courte nouvelle, poèmes…, – autant de chausse-trapes qui s’ouvrent sous les pas du lecteur avançant dans le texte principal, happé dans ces univers parallèles, en miroir.
Renouant avec ce procédé narratif, Coe dresse les méandres du destin flétri d’un homme banal, amoureux de son GPS, VRP sillonnant les routes du nord de l’Angleterre pour vendre des brosses à dents – « objet d’usage quotidien qui n’inspire aucune réflexion sur ses implications politiques et environnementales » – et pourtant, l’objet n’échappe évidemment pas à la vogue écologique et équitable déjà dévoyée par le marketing triomphant.
Suivre l’ordinaire Mr Sim, ses rencontres et rêveries, c’est céder à l’envie de rendre par le rire sa politesse au désespoir : l’ironie de Coe excelle à dévoiler les travers et pentes, parfois sordides, parfois cyniques – ou les deux – qu’emprunte notre temps.
Lucie Clair
La Vie très privée de Mr. Sim
Jonathan Coe
Traduit de l’anglais par Josée Kamoun
Gallimard, 449 pages, 22 €
Domaine français La Vie très privée de Mr Sim
mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121
| par
Lucie Clair
Un livre
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°121
, mars 2011.