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Choses vues Souvenirs d’encre

avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122 | par Dominique Fabre

Parfois on voudrait seulement se rappeler les jolies choses, comme si on ne cessait d’être entre la vie et la mort, le seul vrai plaisir serait d’ouvrir les yeux dans le mi-sommeil, la vie dans les songes. On ne veut que se rappeler Yuki, Sonomi, les jolis paquets cadeaux des Japonaises qui font très beau d’un petit rien, et, au bout du compte, les années passent et on ne sait plus du tout ce qu’il y avait dans la boîte, car c’est la boite qu’on a gardée, toutes ces années. Par exemple l’encre et le pinceau que Kei m’avait offerts en 1983 ? Où est-ce que je les ai fourrés ? J’avais envie de le tenir dans la main après trop d’heures passées à regarder les mi-mensonges et les moitiés de vérité sur la chaîne Nhk en anglais. Yoshiaki apprenait la cuisine, Yuki la pâtisserie. Ils cuisinaient très vite, leurs gestes très simples et précis pour faire en cinq sec des jolies fleurs en carotte, des bonhommes en haricots. Kazuko étudiait la couture à Esmod et à la différence des cuisiniers elle était bien déjantée, cigarettes et whisky, ronde des petits copains, mais elle se sentait tellement vieille puisqu’elle avait déjà 27 ans ! J’ai oublié le nom de celui qui voyageait depuis cinq ans et dans sa chambre de bonne laissait dérouler ses cassettes de musique pour faire croire aux voisins qu’il était toujours là. Mon pote Nico très amoureux me ravitaillait en lectures de tout ce qu’il trouvait en traductions du japonais. J’ai découvert grâce à lui Osamu Dazai, je n’ai jamais été partant pour les « love suicides » à répétition, mais il reste mon préféré. Yasunari Kawabata. Mishima, Sei Shonagon, Kenzaburo Oe et tant d’autres histoires aimées. Nico a fait sa vie là-bas avec sa jolie Japonaise. Tout va plutôt pas mal pour eux, on dirait.

Tard dans la nuit, j’ai rêvé à une grande vague dans la rue du Château des Rentiers. Je ne suis sans doute pas le seul à l’avoir vue. Les mômes dans mon bahut voulaient savoir combien elle mesurait ? 3 mètres, 10 mètres, 20 mètres en ses plus hauts endroits ? Je n’en sais rien, ils voulaient vraiment le savoir. Ils étaient super déçus, quand même, un prof qui ne sait pas ça ? C’était une folie de vague en tout cas, une vague comme il en existe donc mais comme ça ne devrait pas. Beaucoup de gens ici ont déliré les jours d’après. Où accueillir les Japonais ? J’ai entendu quelqu’un dire qu’elle avait fait des plans d’aménagement dans sa tête toute la nuit. J’ai entendu les mêmes choses dans le métro, ligne 7. On a de la place chez nous, en France, dans les cambrousses ! Le type qui disait ça avait un accent un peu marseillais. Il s’adressait dans le métro à un grand Malien triste, sans avis sur la question, sinon peut-être son regard de grand malien triste. De la place chez nous, vraiment ? Dans le collège où je bosse, les mômes de 6e et 5e ont inventé le « jeu du liquidateur ». Ils tapent sur la tête du même gosse plus ou moins désigné volontaire et à la fin, il faut lui dire merci et lui serrer la main, car il leur a sauvé la vie. Il y a encore de la neige en ce moment, à Tokyo. Ici on est bien à l’abri, au printemps. Combien d’énormes vagues encore dans cette vie ? Combien de tremblements de terre à répétition ? Je regarde les images de la chaîne Nhk et je ne vois rien, je ne me souviens que des prénoms, des gestes gais et doux des filles d’avant, j’ai perdu les adresses, ce que ça peut être loin. Woman, do not turn your back on me ! De cet avant je crois sentir encore un baiser plus doux et précis qu’une première vraie journée de printemps, le matin. Les badges Atom Kraft nein Danke accrochés à nos sacs de 1978 ou alors 80 ? Faudrait peut-être les ressortir aussi ?

Nettoyage de printemps ; ça fait bientôt une année pleine que je ne suis plus allé chez aucune vieille dame pour lui faire ses carreaux, les courses, ou seulement bavarder de tout et de rien. Pourquoi les choses les plus bêtes de la vie sont souvent celles qui manquent le plus, en vrai ? En me baladant ce week-end, je suis tombé devant un Mona Lisait, des soldeurs en face de la gare d’Austerlitz. J’ai vu des beaux tas de livres de poche, les Motifs du Serpent à plumes, des Anatolia du Rocher. Ça m’a fait bizarre de voir en tas plein d’auteurs vivants sauvés pour quelque temps du pilon. Le nettoyage par le vide : ma grand-mère et ma mère faisaient ça. Ma mère relisait tous les papiers qu’elle allait jeter ensuite, coupés en petits morceaux car elle croyait toujours qu’on l’espionnait. En général la fenêtre était ouverte et ce jour-là, il faisait beau. Puis, le linge de nuit coupé pour en faire des chiffons à poussière. Les armoires jamais vides en vrai. Tout était propre. La vie durera longtemps.

Ils travaillent tôt sur le boulevard des Maréchaux. Les constructions du tramway avancent rapidement, des ouvriers s’activent dès sept heures sur le chantier. En bus PC2 on avance sur une grande vague inconnue où on nage sans même savoir car en fait, on est les petits poissons du dedans ! Où iront les types qui dorment dans les wagons désaffectés le long du chantier ?

Des petits rigolos rajoutent leur touche spéciale de fin sur les derniers murs qui tiennent avant l’avis de complète disparition. Après Moubarak, Karaboum ! Etais-je si mal réveillé que je n’ai compris ça que le jour suivant ? Allez hop vive les vacances : tout le monde en prison ! Des taggueurs s’amusent encore où ça va bientôt disparaître. Un type sur une cheminée, de deux mètres de haut, avec les cheveux rares et la tête dépressive. A côté de la dernière maison en brique qui tient debout dans les gravats. Devant, l’école d’archi toute neuve-brillante. Les labos de la Fnac. Du côté de la Poterne des Peupliers, ils ont planté des jonquilles sur le gazon du tramway. Personne n’avait songé à les piquer. J’ai trouvé ça bizarre. J’étais juste un peu trop pressé.

Souvenirs d’encre Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°122 , avril 2011.
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