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Choses vues Lapin hongrois

janvier 2012 | Le Matricule des Anges n°129 | par Dominique Fabre

En bas des marches gare de Lyon à la sortie, derrière la file des taxis en attente, un bonhomme moustachu assis sur un tabouret pliable tend son gobelet. Il a des dents en or, des grandes moustaches, un chapeau rond de gangster et surtout, un gros lapin blanc dans sa cage en fer. Il fait des sourires, des grimaces en montrant la cage bien garnie, salade et carottes du marché, parfois le lapin lève la tête avec un air affairé, le monsieur continue de faire l’article sans se lever du tabouret. Il parle hongrois, m’a expliqué mon collègue. Tu connais le hongrois toi ? Mon collègue s’est assombri : juin 1998 – 15 janvier 2003. Son grand amour ? Oui, une effroyable tragédie ! Le week-end, le monsieur et son lapin ne sont pas là, ils ont sans doute besoin de l’air pur de la campagne ou d’un séjour en caravane derrière la porte de Pantin. Du coup il est plutôt sympa mon trajet habituel. Sur ma route, j’ai même un montreur de lapin qui parle hongrois. À part ça rien ne change. Sous le pont de la promenade plantée juste avant de bifurquer vers le bahut où je bosse des Africains sans abri font la manche. Parmi tous ceux-là, j’ai pensé à celui qui écrivait des livres et m’a demandé à mots couverts de lui porter secours, on se donnait rendez-vous, il n’arrivait jamais à l’heure. Je devais rentrer pour les cours. On s’est loupé combien de fois ? Il venait en aide à des types plus malades que lui, et il refusait de se montrer comme il était, abandonné. Après mon divorce, c’était difficile, mais ça va mieux. Il souriait. Il me donnait du Fabre, hé Fabre ! Je voudrais le voir resurgir un jour, mais bien sûr, c’est impossible qu’il revienne, d’où il est. Sa fille qu’il adorait. Son sourire. Il avait une grande culture et beaucoup de gentillesse, il cachait ses bouteilles derrière un mur et me demandait de l’aider à porter secours à un autre, un Congolais, un Zaïrois, un autre sans papier de tel ou tel endroit. Aujourd’hui les sans-papiers ne couchent plus sous ce pont-là. Un autocar des flics à toute vitesse, rue du Temple, un dimanche vide l’après-midi, les Africains embarqués tapent sur les vitres, le bus fonce entouré par des motards, sur les trottoirs on aura eu à peine le temps de réaliser. Personne pour raconter cela.

Sur le chemin de l’école puisque j’y vais souvent à pied (36 mn 25 record perso) je m’arrête aussi au café à Reuilly si j’ai le temps, histoire de croire que je suis attendu quelque part. La télé en sourdine, les matches de foot, les actualités sur des sujets si rebattus qu’à force, il n’est même pas nécessaire de couper le son. Gilles le barman est le plus rapide que j’ai jamais vu, en régime de croisière, si tôt le matin. On se sourit depuis combien d’années déjà bonjour vous allez bien ? Bobos de Reuilly-Diderot : à cette heure les mères se retrouvent ici pour papoter après avoir laissé les enfants à l’école. Oh, sympa ta veste, à Ventes privées point com ? Trop sympa. Si je regarde vers la rue j’aperçois les mômes qui marchent dans ce petit quartier de la grande ville avec des idées bien précises, aller s’acheter des bonbons juste avant les cours, ou bien passer toute une journée tranquille dehors avec dans le sac à dos plein de bons trucs à manger. Je croise souvent Sarah qui a 19 ans maintenant, le monde s’ouvre tout grand pour elle à la station du métro, comme pour Pierre, Doumia, Adrien, Alice et même Pablo. Il est temps d’aller se laisser enfermer quelques heures en évitant de soupçonner l’existence d’une puissance supérieure chargée de m’observer brailler en cours, puis d’envoyer son rapport aux autorités compétentes. Compétentes pour quoi ? Je n’en ai aucune idée. C’est bien ce qui m’inquiète, en vrai. Sarah m’a fait un grand sourire à la bouche de métro coucou teacher comment ça va ? Ça baigne, merci et toi ça va ? J’ai serré la main d’Adrien qui n’est pas plus pressé qu’avant dans les escaliers du métro. Puis, direction le boulot, non sans avoir balancé pas mal de journaux gratuits à la poubelle. C’est fou le nombre de profs qui lisent les journaux gratuits, à Reuilly-Diderot. C’est même carrément agaçant. On en était tous à se lamenter de la journée de carence pour les maladies imaginaires des fonctionnaires paresseux, j’en ai conclu qu’il faudrait s’arrêter longtemps, du coup, quitte à s’arrêter, mais c’est-y pas une honte mes aïeux.

La journée s’est pas mal passée, il y a eu des nuages gris poisseux au-dessus de la caserne en face de la salle 313 et à un moment, peu avant l’interclasse, tout est devenu si laid que j’ai eu envie de demander à Dieu son carnet de correspondance pour lui coller un rapport. Msieur, ça va ? Oui, quoi ? On en était où ? Ah oui, euh… ça sonne quand ? Il me tarde souvent de retourner le soir dans la rue du Château des Rentiers. À 6 heures et demie je suis repassé gare de Lyon exprès par chez le lapin hongrois pour en avoir le cœur net, il était toujours en train de bouffer, le monsieur sur son pliant, tendant le même gobelet avec son sourire moustachu de dents en or, en pleine forme. Quant au lapin n’en parlons pas. On traverse l’esplanade, on évite gentiment les jeunes gens qui vous alpaguent pour Action contre la faim, Aides, la Croix rouge et les promotions de Noël. Dans le hall des Tgv des personnes de qualité parlent au portable en regardant le tableau des départs, c’est plein de femmes sexy sexy et de types en beaux habits qui ne tombent jamais malades. Mon fiston à la maison. Salut, mon lapin, tu vas bien ? Oui, ça va. Il a haussé les épaules. Il a pesamment soupiré. Hé, cache ta joie, quand même, c’est les vacances ! Pas de réponse. Bon, je suis rentré dans ma chambre. Par la fenêtre les tas de feuilles mortes dispersées par les grands orages. La cabine du téléphone pour appeler personne, au fond. Les gens agglutinés en masse sombre dans le PC2. La lenteur tout autour et les guirlandes du nouvel an qui gigotent sous le vent. Rêver des jolies choses qu’on a à faire pour cette année qui vient. Toutes ces choses à vous raconter. Bonne année !


Dominique Fabre

Lapin hongrois Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°129 , janvier 2012.
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