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Choses vues L’impératrice en Bentley

avril 2012 | Le Matricule des Anges n°132 | par Dominique Fabre

Ça m’a quand même fait plaisir de voir à Shibuya trois clochards bien achalandés sur leurs caddies qui n’avancent pas, alors que tous les autres gens, et nous aussi d’ailleurs, ne cessions de marcher. Clochards de tous les continents, buvons des coups ! Laissons-les tous avancer, et s’il ne reste que quelques millions d’immobiles, soyons parmi ceux-là ! Elle est belle leur ville de Tokyo, on s’est beaucoup baladés. Avec Kei et Nico on a visité les temples bouddhistes ou shintoistes. Il faut jeter une pièce dans un bassin, baisser deux fois la tête, taper deux fois dans ses mains, et la fortune est assurée. J’ai dû revenir blindé sans m’en rendre compte. J’ai revu mes anciens amis du Japon, nous nous sommes facilement reconnus, je me demandais comment éviter le quart d’heure des regrets, le quart d’heure des absents, le quart d’heure de celui qui, de celle que ? Cela faisait près de trente ans qu’on ne s’était pas vus. Ne pas se prendre la tête : à la place on s’est pris en photos, sourires ou grimaces de gamins. On a bu des bonnes bouteilles. On a mangé du fromage et du saucisson que j’avais rapportés là-bas. Vers la fin Naoko s’est cassé plusieurs fois la figure en allant faire pipi, on a fait semblant de ne pas s’en rendre compte, elle est partie plus tôt que les autres pour être à l’heure au golf, le dimanche matin. Eiko et Yoshiaki sont toujours aussi marrants. Sonomi s’est levée très tôt à New York exprès pour nous téléphoner, être avec nous tous, en un sens, elle aussi. Yoshikatsu n’avait pas pu venir : il avait une trop grosse commande dans sa pâtisserie de Yokohama. On a échangé quelques mots, il a oublié son français, mais si je retourne là-bas un jour je sais où me rendre pour manger des gâteaux. Schinichi enseigne les mathématiques avec le même air doux et rêveur qu’il avait à vingt ans, en écoutant les disques microsillons après avoir trop picolé. Il est de plus en plus sage : il prend un kilo par an ! Il vous fait rire sans vouloir, juste comme ça. Sa famille vient d’un village dévasté par le tsunami, mais ça fait partie des choses dont ils ne parlent pas avec des gens venus d’ailleurs, je crois.

Derrière nous, sur les photos de nos grimaces de cette soirée au 43e étage où Nico et Kei habitent, on voit le skyline de Tokyo. Pourtant elle n’est pas « toute droite leur ville », pas du tout New York City. Elle est propre et silencieuse. Au-dessus des tours beaucoup de gros corbeaux qui planent. Une fois j’ai ressenti une petite secousse, j’étais assis sur le divan, trente secondes, à peine de quoi vérifier alentour ah tiens ?, ça avait fini de bouger. Une tempête de neige, puis le soleil du lendemain. On a vu la Bentley de l’impératrice arriver à l’hosto de l’université de Tokyo, son mari l’empereur venait d’être opéré ! Panique à l’université : les gardes du corps avec des oreillettes, des chemises blanches costumes noirs et des tronches de figurants pour les films de Jackie Chan dans les cinémas permanents des grands boulevards, en 1983. Au loin, chaque jour, le mont Fuji dans le brouillard. On a joué à ah oui, tiens, tu le vois là ? On était trois semaines trop tôt pour les cerisiers en fleur. Les gosses en uniformes, les gamines aux cheveux teints, en minijupe et chaussettes aux genoux, ils aiment toutes sortes d’uniforme, on dirait, là-bas. Les salary men en complet et les femmes très à la mode. Misère ! j’ai pas essayé les love hotels à deux tarifs, rest or stay. Le métro j’ai vraiment adoré. J’ai compté jusqu’à huit bonhommes qui dormaient par wagon, ils ne se parlent pas, ils se réveillent juste quand ils sortent. C’est clair, nous ne sommes pas les plus civilisés, dans nos rames Ratp. Les foules indifférentes, silencieuses, qui s’ouvrent pour vous laisser passer comme si de rien. Les rues souples et graciles dans les petites collines des environs. Tout autour on sent la mer, un peu cachée, c’est comme si on la guettait, ou alors elle ? J’en aurai mis du temps pour y aller, chez mes amis Nico et Kei. Mon pote n’aime pas qu’on raconte les vieilles histoires. J’aurais fait des beaux voyages, dans ma vie.

Quand je vois la tour Bergame en sortant du métro porte d’Ivry, elle est un peu de travers, je crois qu’elle voudrait me dire quelque chose. Quoi ? Elle n’est pas si fragile que ça, mais l’un dans l’autre, c’est comme si elle était étonnée de nous voir, nous tous, les fourmis d’en bas. On se regarde un peu, (enfin nous : elle et moi). Ensuite, je fais la queue pour acheter du pain ou je rentre directement, et du coup, j’oublie sans doute ce qu’elle me dit, ou pas. Bientôt le Japon retourne au Japon, les gens de la porte d’Ivry se demandent parfois comment ils ont atterri ici, dans cet endroit improbable où on ne devrait pas prendre racine, où on ne devrait pas rester longtemps, et pourtant. Ici, il y a aussi tellement de choses à raconter, et des bourgeons qui sont prêts à éclore. Par la fenêtre de mon immeuble c’est tout rose dans la cour du Château des Rentiers, un seul arbre en fleurs, derrière on aperçoit les travaux des Maréchaux et la cabine téléphonique où rôdent les ombres du soir, près du foyer des travailleurs migrants. Ce dimanche matin ils nous coupent tout à ras les branches des platanes de la porte d’Ivry. Bientôt, nos vies, c’est le printemps !

Sondages de la présidentielle. Sont-ils cousus de fil noir ou blanc ? Faudrait pas se laisser piéger quand même ! Fanfarons de la gauche, de la droite et du milieu, ils ont quand même démarré les expulsions par ici. Ça continue tout comme l’année d’avant, et encore celles d’avant, et aussi avant ces dernières, alors bon. Au bahut vient la saison où les gamins se filent des gnons, ils ont trop chaud, les gamines rêvassent et ferment les yeux au soleil. Msieur, fait trop chauuuuud, on peut pas regarder un film ? Non, pas question ! oh msieur ! Bon alors, un pas long, un petit ! Zêtes trop cool msieur. Ah tiens oui… C’est un film qui se passe au Japon, ça vous dit ?


Dominique Fabre

L’impératrice en Bentley Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°132 , avril 2012.
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