Dennis Kelly a 40 ans, vit à Londres et travaille aussi bien pour le théâtre que pour la radio et la télévision. L’Arche publie deux pièces de Dennis Kelly, écrites en 2006 et 2007. ADN ressemble à un fait divers : un groupe d’adolescents, par désœuvrement, bêtise et inconscience maltraite, torture puis tue l’un d’entre eux, Adam. Pour rire. « Alors on fait quoi ? ». Et Phil intervient. Phil qui ne parle jamais, qui écoute son amie Léa ou plutôt se tait en présence de Léa. Et là, Phil entre en action. Il conçoit un plan machiavélique pour détourner l’attention de la police, la mettre sur une fausse piste, l’orienter vers un coupable possible, et la grande force de Phil, c’est d’utiliser la technique qui fait aujourd’hui autorité : l’ADN. Le plan réussit à merveille, un malheureux postier se retrouve en prison, et les jeunes n’ont plus qu’à faire le deuil de leur camarade décédé et calmer leurs consciences. Jusqu’à ce qu’Adam réapparaisse. Il a réussi à s’extraire du puits dans lequel les autres l’ont fait tomber et à vivre quelque temps caché dans la forêt, mangeant des insectes et des feuilles. Mais quelque chose en lui a craqué. Revenu de la mort, le garçon est heureux, ou dingue. Et de nouveau, Phil s’interpose : « Il est mort, tout le monde pense qu’il est mort, çà changera quoi. » Et il donne à Brian un sac en plastique…
En une cinquantaine de pages, Dennis Kelly crée une ambiance tendue, insupportable à certains moments, tant sont présents ces adolescents. Edward Bond, un Anglais encore, nous avait déjà confrontés à la violence adolescente, à l’horreur qui en surgit souvent. Dennis Kelly en traitant ce fait divers nous pose la question d’un monde qui suscite et finalement accepte cette violence, comme un dégât collatéral.
La deuxième pièce, Love & Money, est une sorte d’état des lieux du monde. Love, ce que tout le monde recherche, et Money, le moteur de nos sociétés. Ce monde, David et Jess le parcourent en sept tableaux et en révèlent les incertitudes, les contradictions, les impasses et les questions demeurées sans réponses. La vie personnelle, le travail, les entretiens, une place au cimetière, un héritage, des dettes, tout y passe. Six tableaux noirs, et drôles en même temps parce que Dennis Kelly nous met toujours à distance, comme pour nous dire « regardez-moi çà » et nous inviter à prendre parti, à questionner notre propre quotidien.
Cela pourrait être documentaire, et pourtant très vite l’écriture, épurée, la rapidité des dialogues, l’urgence des situations, l’humour, le décalage nous rassurent s’il en était besoin : nous sommes bien au théâtre, et les personnages nous touchent, nous inquiètent, nous irritent et prennent rapidement le dessus sur le fait divers. Et puis un septième tableau, magnifique. Un long monologue, un questionnement qui met Jess aux prises avec le monde. « Je ne pense pas que nous ayons envie d’être seuls, si ? C’est çà qu’on veut ? Est-ce bien çà qu’on veut ? Et parfois on se dit que la seule raison pour laquelle on fait ce qu’on fait, c’est pour tendre la main et pour toucher/juste toucher, juste pour/sentir/quelque chose/dans notre main ». D’où venons-nous ? Que cherchons-nous ? C’est quoi l’amour ? Pourquoi tuer son canari avec un tournevis ? Huit pages pour questionner l’univers et la raison d’être de l’homme. Et sur le bras de David, qu’elle vient d’accepter d’épouser, une réponse peut-être : ce grain de beauté qu’il devrait faire examiner parce que c’est dangereux.
Patrick Gay-Bellile
Love & Money
suivi de ADN
de Dennis Kelly
Traduit de l’anglais par Philippe Le Moine et Francis Aïqui
L’Arche, 138 pages, 14 €
Théâtre Dégâts collatéraux
octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127
| par
Patrick Gay Bellile
La violence, l’amour, l’argent : un jeune auteur anglais secoue le cocotier et met notre humanité à nu.
Un livre
Dégâts collatéraux
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°127
, octobre 2011.