Dans les grandes villes de la république du Ghana, il y avait autrefois de luxueuses salles de cinéma, poussières de l’Empire britannique. Puis on a improvisé des séances de quartier : un endroit où brancher un magnétoscope, une séance aux airs de baraque de foire, des productions locales ou du cinéma de genre dont il faut faire la réclame. Alors intervient le « peintre d’enseigne » : sous-payé, pas payé, ne sachant presque rien du film dont il doit réaliser l’affiche, il a toute latitude pour jouer, en quelques coups de laque glycéro, sur des sacs de farine ou de riz ouverts en deux, sa partition très libre. C’est-à-dire qu’ici Hulk est bleu, et que des crânes se trouvent souvent disposés à l’envi. Qu’on exagère, qu’on invente : couleurs criardes, symbolisme appuyé, perspectives approximatives, rien ne manque (sinon parfois le nom du film), et malheur au réalisateur qui, orfèvre de la suggestion, s’est avisé de laisser un monstre hors-champ – le monstre reviendra faire un tour sur l’affiche, entre des muscles gonflés jusqu’à l’absurde et une belle décapitation.
Tout cela se sait aujourd’hui que les peintres ghanéens intéressent l’art et l’argent, qu’ils s’attirent réputation et expositions, au rythme peut-être des opportunismes de la pop culture. Ce dont on n’accusera pas Jean-Pierre Putters, d’abord parce que sa passion est de longue date, ensuite parce qu’elle tient du potache plus que de l’esthète paradoxal. Ce qui l’intéresse surtout : repérer, sur telle affiche d’un James Bond, l’orthographe hâtive ; et puis se demander ce qui justifie la présence d’un poisson ; et encore s’amuser des formes de l’actrice ou de la voiture, et se demander à qui peut bien ressembler 007. Car les Ghanéens « excellent dans l’art subtil de transformer les stars en illustres inconnus » : méconnaissable, Sharon Stone qui a vieilli de vingt ans ; de même Jean-Claude Van Damme, qui, d’une affiche à l’autre, n’a jamais la même tête.
N’allez pourtant pas croire que l’auteur de Ça l’affiche mal prenne de la hauteur. Bien au contraire, il se vautre joyeusement dans les surcharges africaines, réservant son ironie pour l’« intellectualisme glacé » des affiches polonaises, leur art non figuratif et qui d’ailleurs ne figure rien des œuvres. Avant d’en venir au Ghana, dans les premières pages, Putters se place conjointement du côté du rire ou du fantastique, ruptures bienheureuses de l’ordre établi depuis qu’il découvrit enfant les salles populaires de Montparnasse et les opérettes du théâtre Mogador ; ou plus loin encore, depuis que sa maman pyromane mit le feu aux meubles, et qu’il bénéficia, en une, des honneurs de France-Soir : « Et pendant ce temps, l’enfant riait dans son berceau ! »
Gilles Magniont
Ça l’affiche mal !
de Jean-Pierre Putters
Le Bord de l’eau, 144 pages, 22 €
Textes & images Mon beau Ghana
octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127
| par
Gilles Magniont
Avec Jean-Pierre Putters, voyage au pays des épouvantables et glorieuses affiches.
Un livre
Mon beau Ghana
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°127
, octobre 2011.