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Textes & images Tablettes de bois vivant

juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245 | par Jérôme Delclos

Dans un essai pensif et délicat à l’image de son objet, Jean-Christophe Bailly dialogue avec les portraits du Fayoum.

L' Apostrophe muette. Essai sur les portraits du Fayoum

Macula réédite, augmenté d’une préface de l’auteur, cet « Essai sur les portraits du Fayoum » – son sous-titre – publié par Hazan en 1997. Le livre comporte 69 illustrations, une sélection parmi le millier de ces « portraits romano-égyptiens ou portraits gréco-romano-égyptiens » comme les spécialistes les appellent. Visages de femmes, d’hommes, d’enfants peints sur bois, les premiers portraits au sens où nous l’entendons aujourd’hui : présentés de front et leur regard sur nous, et non plus de profil et regardant ailleurs comme c’était le cas sur les bas-reliefs égyptiens, les vases grecs. Découverts à la fin du XIXe siècle, ils sont dispersés de par le monde dans des musées. Il aura fallu pour les y déplacer les sortir des bandelettes qui les liaient à leur momie (Jean-Christophe Bailly souligne cet « exil (…) de l’existence muséal » qui redouble leur « plus lointain exil, celui du tombeau »). Ils proviennent tous de l’époque romaine de l’Égypte – du Ier au IVe siècle de notre ère – et d’une région inondable « à l’est du Nil en amont de Memphis » : ils nous arrivent de loin dans l’espace et le temps. Portraits qui nous saisissent par la beauté des couleurs, la finition, au service de ces sujets humains « si lointains et si mystérieusement proches ». Et la vie, tout sauf des crânes ou des masques funéraires.
Pour Bailly, le silence de ces visages ne dit pas rien, n’est pas rien. Quelque chose en lui s’apparente à une adresse, presque une question qu’ils nous posent, et toute l’affaire du livre est de tenter l’approche de cette « apostrophe muette ». Déjà à creuser le reproche, dans les Évangiles apocryphes, que fait Jean à son disciple Lycomède qui a réalisé son portrait : « Tu as peint le portrait d’un mort », ce que Bailly dans les pas de Louis Marin étend à tout portrait. « C’est justement parce qu’il est d’un mort, d’un être-pour-la-mort, que le portrait se rappelle à la vue, non comme la simple pellicule de ce qui fut, mais comme une manifestation de l’essence. » Ainsi les portraits du Fayoum sont-ils non seulement les premiers, mais ils révèlent ce qu’Aristote nommait le « to ti en einai », « ce que c’était que d’être », l’essence même, ici dans un visage humain, de la dimension qui signe en chacun de nous cet être à l’imparfait, destiné un jour à ne plus être qu’au passé. Mais qui aura été. « Et par eux [i.e. les portraits] les vivants sont les morts et les morts les vivants. » C’est à cette énigme de l’être, cette visitation à chaque fois pudiquement descendue dans les portraits du Fayoum, que Bailly nous invite. Sous la grande variété des âges, des morphologies, des types humains, une « tonalité d’ensemble », un « air de famille ». « Ces visages sont tous (…) extraordinairement sérieux : là où ils sont et se retirent, là d’où ils regardent, quelque chose a lieu, qui les tient, qui les fore » Station ou suspens « au bord du temps, dans un retrait qui n’est plus leur vie et qui n’est pas encore leur mort. (…) Ce qu’ils nous offrent, ils le gardent en même temps pour eux ».
De page en page, lire Bailly revient à alterner son texte et les moments pensifs, émus, troublés, où nous nous prenons à contempler les portraits qu’il commente, attentif à un détail. Les « boucles d’oreilles si simples, si ténues, si antiques au bas des lobes » des femmes, telle « petite tache qui brille dans l’œil ». Et soudain ce « visage terrible d’un enfant mort », puis à la page suivante celui, un peu perdu, de sa jeune mère dont on apprend que son petit garçon a été « enseveli avec elle ».
Le livre est ponctué, sans excès, de références à Michelet (les « témoins muets » du tombeau), à la philosophie du visage d’Emmanuel Levinas, à Walter Benjamin et sa poignante nostalgie d’un passé où nous n’étions pas. D’Artaud, un dessin réalisé « à sa table de nuit à l’asile » : « trois corps enchâssés dans des boîtes-cercueils ou dans des sarcophages ». Bailly nous tient la main dans l’ascension vers ces hautes régions de la gravité et de la pudeur, où nos frères et sœurs du Fayoum nous sont présentés « par-delà l’enfouissement » comme ce « chœur muet (…) purement diurne et solaire, purement vivant ». Chaque femme, homme, enfant, s’y révèle alors, par le « travail d’anamnèse qui leur rend justice », l’inoubliable « témoin de ce qui fut ».

Jérôme Delclos

L’Apostrophe muette
Jean-Christophe Bailly
Macula, 127 pages, 23

Tablettes de bois vivant Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
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