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Domaine français L’horreur n’est qu’humaine

mars 2012 | Le Matricule des Anges n°131 | par Valérie Nigdélian

Autour d’Arvida, dans les forêts profondes du grand Nord canadien, quatorze nouvelles pour sonder l’animal dans l’humain, entre rêve et cauchemar.

Drôle de nom pour une ville. Consonance étrange, qui évoque un lieu imaginaire plus que réellement localisable. Arvida existe pourtant bel et bien, dans la région du Sagueney, au Québec ; Samuel Archibald y est né, comme son père et son grand-père avant lui, au milieu de nulle part. Car Arvida est née de rien, sinon de l’utopie d’Arthur Vining Davis, industriel américain qui, à grands renforts de financements, fit sortir de terre « en cent trente-cinq jours  » cette ville destinée à l’hébergement des ouvriers et des cadres de l’usine d’aluminium qu’il dirigeait, dans les années 1920 – une ville à qui il imprima définitivement sa marque en lui offrant ses initiales.
On dit même que, sans Arvida, les Allemands auraient gagné la guerre, car l’usine fournit « à peu près tout l’aluminium qui entrait dans la composition du fuselage des avions alliés ». Mais de cette Arvida-là, sise au cœur de l’Histoire, peu de traces dans ce premier texte de fiction de Samuel Archibald : son Arvida s’en tient « rigoureusement en dehors », fourmillant au contraire d’histoires, terme qui donne son sous-titre aux nouvelles qui composent le recueil.
La mémoire en est le prétexte : de ces histoires « à moitié fausses et à moitié inventées » émerge peu à peu le portrait de la ville et de ses habitants ; portrait cocasse ponctué de moult « câlice » et autres « tabarnac », de virées en « char » d’un bord à l’autre de ce no man’s land, de voyous minables et de « débiles légers » embarqués dans des embrouilles plus grosses qu’eux (on pense parfois aux frères Cohen) ; portrait sensible que surplombent la figure paternelle et, plus essentiellement puisqu’elle nourrit la dynamique même de l’écriture, celle de la grand-mère dont le prénom, révélé en fin de recueil, indique la portée proustienne du projet, planant dans « l’odeur des plats qui mijotaient sur le poêle ».
Mais le portrait vire bientôt au noir, avec fantômes, bêtes mystérieuses et féroces, apparitions terrifiantes, empruntant aux littératures de genre dont Archibald fait le suc de ses cours à l’université du Québec à Montréal. À Arvida, la nuit remue et a bon dos : rien n’égale l’homme en abomination.
Combien faut-il être innocent (et « traiter quelqu’un d’innocent ici, c’est pas un compliment » !) pour arriver dans cette terre du bout du monde, « cette terre d’asile », et croire que « pratiquement tout pouvait être effacé et oublié » ? Mais, refoulé, quelque chose continue de remuer dans le noir : ours, lynx et cougars, loups-garous et dragons, créatures sans visage, sifflantes et démoniaques, fleurs de chair, désirs cauchemardesques, pulsions incestueuses. Quelque chose d’infime et d’essentiel, qui tient de la « différence très mince » qui sépare l’homme de l’animal, laquelle n’a « rien à voir avec l’amour ou la tristesse ou la capacité des gens à éprouver quoi que ce soit mais tout à voir avec leur capacité à refuser aux émotions le droit de déferler en eux » : être homme serait donc « ne plus ressentir et ne plus être une bête », « ne plus écouter ce qui émanait de son cœur et de ses entrailles ». À Arvida alors, au plus profond des forêts de sapins et de sumacs, « voilà exaucés les rêves sauvages », ces rêves « sans dehors ni dedans » où s’estompent les frontières entre les règnes, où la nuit puis le jour semblent tour à tour plus étranges l’un que l’autre.
Rêves fascinants. D’un poison puissant. Dont les grandes et fragiles prêtresses sont les femmes, que leur sexe ouvert et saignant rattache encore, à en croire Archibald, au règne animal. Sorcières, sylphides désincarnées à la chevelure écran, fillettes terrifiées par des désirs naissants et voulant croire, envers et contre tous, aux loups, jamais aux chiens – aux « gros chiens sales » qui abîment les petites filles. Rêves atroces, quand la chair incessamment mutilée se redéploye en sculptures sanglantes. Rêves de dévoration et de mort, où le rêveur, dans son demi-sommeil, est à la fois la proie et le prédateur. Fou ? Possédé ? Archibald ne tranche pas, et son art réside justement dans cette suspension du sens, dans l’ouverture et l’ambiguïté qu’il maintient, dans l’entêtement irrationnel de ses personnages à s’accrocher au mystère, contre le prosaïsme et la pauvreté de la réalité : il vaut mieux parfois croire aux fantômes, et s’acharner à retrouver, dans « une tache indistincte », à force de la fixer, ce que l’on souhaite exactement y trouver. Ces « histoires qui n’en sont pas (…) commencent sans finir ou (…) n’arrivent jamais vraiment » : tout le talent d’Archibald est de se frotter à cette impossibilité, donnant naissance à des histoires « irracontables (qui) s’autodétruisent dans l’exercice même de leur formulation ». À la remarque du narrateur, « on ne peut pas écrire toute sa vie sur l’impossibilité de raconter », cette réponse du père : « Pourquoi pas ? »

Valérie Nigdélian-Fabre

Arvida
Samuel Archibald
Le Quartanier, « Polygraphe », 322 pages, 20

L’horreur n’est qu’humaine Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°131 , mars 2012.
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