Valérie Rouzeau, lady poèmes
Ce titre-là, Vrouz, va à la poésie de Valérie Rouzeau comme la peau à un corps. Vrouz dit à la fois le matériau autobiographique et la vitesse de la langue. V. Rouzeau n’est pourtant pas une fille pressée : au contraire, cette éternelle piétonne (les cadavres des voitures « morts subites » que son père ramenait lui ont ôté le goût de la conduite et imprégné profondément la peur de la route) doit préférer la lenteur. Mais sa langue est tout autre qui file fissa d’une image à un son, comptant sur les syllabes comme une enfant sauvage les sauts à faire d’une case l’autre de sa marelle pour atteindre le paradis. Vrouz est un très beau livre aussi parce qu’à cette vitesse vient faire écho la profondeur intime de celle qui parle ici, l’auteur herself. Dans son sillage, le poème rassemble les paillettes hétérogènes d’un quotidien comme une comète qui laisse traîner sa queue de poussières lumineuses. Tout peut entrer dans le poème, du moment que la langue déploie ses ingénuités. Reprenant le travail du père récupérateur de métaux, d’objets, de tissus, Valérie Rouzeau emprunte, page après page, des citations de poètes aimés, des propos pris à un patron de café, des bouts de slogans publicitaires : tout un matériau recyclé dont les sources sont données à la fin de l’ouvrage, dévoilant ainsi l’incroyable panoplie rhétorique de l’auteur.
L’autoportrait débute par la réappropriation d’une citation de Beckett « Bonne qu’à ça ou rien », histoire de poser la figure clownesque avant la voix. Le sonnet ne se déclare pas tel quel, laissant la rime à d’autres temps ou la grimant grotesque et abandonnant la séparation des strophes au clinquant d’un art qui fut de noblesse. L’humilité n’est pas une pose, mais la seule position tenable quand « soudain on se sent cloche » et que « soudain » ici s’entend comme « toujours ». Mais l’humilité est aussi une arme quand elle permet à l’ironie de frapper juste : ce sont des slogans publicitaires rendus à leur ridicule, les aéroports (« Pour une heure en l’air deux au sol »), les mesures de santé (« Les fumeurs meurent je ne vois pas la suite/ Sur le paquet de cigarettes légères/ Quelle nouvelle ça alors les fumeurs meurent » ou ailleurs « Tout est parfait comment penser qu’on va mourir/ On prend pour nous tellement tellement de précautions. » Jouant sur le lexique, fabriquant (bien pratique quand on voyage) de somptueux mots-valises (cet « évapeuré » qui dit la peur en avion d’une tête qui fuit), Valérie Rouzeau retrouve les accents parfois d’une Zazie dans son métro. C’est la revanche de la vie sur la camarde, qui rôde en ces pages où l’hôpital et le médical viennent rappeler l’éphémère contre quoi, peut-être, l’on écrit. On peut ainsi passer, sinon du rire aux larmes, du moins du ludique au tragique, et ce, dans un même sonnet.
Le rythme fait parfois entendre une ritournelle ou ces comptines de l’enfance qui évacuaient l’angoisse. C’est dans la claudication de ce rythme qu’alors l’émotion surgit, comme si...