L’écriture d’Éric Sautou – auteur (né en 1962) d’une dizaine de livres de poésie, dont ce nouvel opus au titre presque flottant – a le charme de la discrétion. On pourrait passer devant sans l’entendre, tant son timbre est celui du chuchotement, de la confidence. Imaginons un instant Michaël Lonsdale ou Sami Frey s’emparer de cette voix… On comprend mieux les raisons qui ont conduit Éric Sautou à placer une citation de Robert Walser à son livre La Tamarissière (Flammarion, 2005) : l’auteur de Au bureau avait cette façon si unique de faire se côtoyer un nonchalant presque-rien-à-dire avec les formes les plus pures de l’étonnement. Nous retrouvons d’emblée dans Les Vacances cet entremêlement entre des choses, des motifs (les fleurs, les arbres, la nuit, le sommeil, la pluie, les bruits d’eau), souvent simples, souvent répétés, insistés, et toute une sorte de grammaire (du vers) par lequel ces mêmes choses prennent une couleur de fin de jour, surgissent alors autrement, sa tonalité, basse et suspendue, avoisinerait celle des Gymnopédies (Satie), à l’exemple de ce poème : « je vais et je reviens sur mes pas/ dans un jardin si froid serre bien ton manteau/ le ciel les souvenirs les façons de mourir/ sans rien faire qu’écrire des jours du lendemain/ pleine lune plus rien tous les arbres sont vides/// poèmes choses brèves c’est ici que je reste », ou encore ceci, laisse isolée fermant la section 20 : « poèmes/ qui nous sont adressés chansons selon nos vœux », mais ouvrant tout le livre à sa seule question, de rythme et de destination, comme si un poisson (motif lui aussi récurrent), battant l’air de sa brillance, le parcourait par en dessous, et remontait vers le lieu de son mourir.
Mais il faudrait ajouter à cela, la logique de sens qui tend l’épreuve de ce livre, dans lequel se devine très finement (l’émotion étant contiguë à la sobriété de ce qui s’y dit) l’histoire d’une fin, d’un départ, d’une disparition (la mère ?), l’incompréhensible suspension du lien qui unit et unissait deux êtres (l’homme, la femme ?). On ne voit d’ailleurs presque aucune silhouette, à peine une ombre au détour d’un mur, sans détermination sexuelle. Parfois y sont évoqués les enfants, une chambre, des volets repeints, ouverts puis fermés, une clé dans la boîte aux lettres… Mais quelque chose, dans ces quasi-blasons, dessine les raisons mêmes de tout le livre, jusqu’à l’absence (de tout bouquet) dont il se borde et s’enveloppe. Structuré en trois sections – « Les souvenirs », « Les poèmes », « La lettre » –, il deviendra étonnamment prégnant que la partie « Les poèmes » est le centre d’une adresse constituée autant par la masse de souvenirs égrenés en phrases rases et littérales (« Mon bâton de marche, mes fleurs, je les abandonne. (Lenz.)// Nuages qui passent. (Rhoda.)// L’arbre abattu l’eau le dévore. (Lenz.)// Souvent je parle seul.// J’aime bien cette photo, là, celle-là.// etc. ») que de sa lettre finale, à la pudeur digne des larmes d’Ulysse au jardin d’Alcinoos, et à travers laquelle tout se replie et se dit (ouvertement), nous laissant seul avec la seule question qui vaut, peut-être parce qu’elle nous regarde autant que la question de la fin, ou de la rive à passer : « Je m’endors (avec des regrets)./ J’ai essayé de t’écrire. (…) Je m’endors. Je suis lointain. J’écris au bord des grilles./ Je suis au bord (désemparé)./ J’écris et je m’endors (et tout le reste)./ À la fin je te vois./ C’est comme s’en aller qu’est-il arrivé ? ».
La grande force de ce livre, à l’allure féline, à la douceur de velours d’une feuille de sauge, tient à cette tension triptyque, « Les poèmes » s’y déployant avec minimalisme comme les micro-narrations d’une mémoire qui se parle, s’interroge, puis retourne à sa basse continue, à sa mélancolie et, sans peser d’aucun poids, à ce qui en elle se libère.
Emmanuel Laugier
Les Vacances
Éric Sautou
Flammarion, 196 pages, 16 €
Poésie Canoë de mots
mars 2012 | Le Matricule des Anges n°131
| par
Emmanuel Laugier
Avec Les Vacances, Éric Sautou donne un livre intimiste dans lequel un homme traverse ses regrets, en inventant une langue presque naïve, pour les dire et les jeter aux vents.
Un livre
Canoë de mots
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°131
, mars 2012.