La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Tumeur textuelle

juin 2012 | Le Matricule des Anges n°134 | par Guilhem Jambou

Avec Ma mère musicienne…, Louis Wolfson choisit de défier, dans sa langue, la mort et la littérature.

Ma mère, musicienne…

Louis Wolfson ne va pas bien du tout. Schizophrène américain écrivant en français, « détraqué dans la tête », comme il le dit lui-même, il fait le récit de ses journées d’octobre 1975 à mai 1977, période partagée entre paris hippiques en banlieue new-yorkaise et agonie de sa mère, Rose, atteinte d’un cancer ombilical. Cette excellente réédition de Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir Mémorial à Manhattan (Navarin, 1984) est due aux éditions Attila qui, en republiant ce texte sensible et stupéfiant étoffé en 2011 par son auteur, ajoutent à leur catalogue un mausolée verbal d’une très haute tenue esthétique.
L’auteur s’était déjà fait remarquer en 1970 avec Le Schizo et les langues : l’exposé de son système de traduction spontanée de sa langue maternelle haïe en un idiolecte mêlant principalement le français, l’allemand, l’hébreu et le russe – en s’appuyant sur un procédé extrêmement complexe de correspondance du sens et des sons – avait enthousiasmé aussi bien Queneau que Deleuze, Paul Auster ou J.B. Pontalis. À ce récit de prostration succède donc ce mémorial littéraire qui voit Louis Wolfson, à 45 ans, accepter davantage de descendre dans les rues de New York, écouteurs aux oreilles – afin de se protéger de l’agressive invasion de l’anglais – et peur au ventre : sa paranoïa lui provoque parfois des crises de paralysie, ce qui peut s’avérer contrariant, voire franchement périlleux et angoissant, lorsqu’un chauffeur de bus, arrivé au terminus, l’incite plus que lourdement à descendre du véhicule, quand ce n’est pas le désir irrépressible qui le point de hurler « lavement » lorsqu’il se sent oppressé…
Dès son incipit camusien, qui reprend et complète le titre et le temps (« Ma mère est morte du cancer, il y a sept ans (maintenant, évidemment, 35 ans) »), et jusqu’à la fin du récit, Louis Wolfson bisse et trisse : il n’y a nul espoir de rémission. D’ailleurs, comment pourrait-il en aller autrement, entre d’un côté les infirmières noires, ces « enculeuses violatrices » diplômées pour scruter et purger les tréfonds de sa « vieille », et de l’autre les médecins juifs, tout à leur mépris pédant de leur patiente et de ce fils apparemment idiot et insensible, capable pourtant de lire des revues scientifiques allemandes qu’ils seraient bien en peine de déchiffrer ? À cette satire furieuse de l’ordre médical s’ajoutent des lignes et des lignes d’une férocité drôle et libératrice s’en prenant autant à la politique américaine (« J’exécrais [Jimmy Carter] cet ex-gouverneur démocrate de Georgie, ex-capitaine de sous-marin atomique… (que je surnommais parfois dans ma pensée, de façon allitérative, et bigote : le bloody baptist bastard) ») qu’aux chefs d’État russes, français ou israéliens, à son beau-père, aux lacaniens, à ses éditeurs précédents, à « l’industrie hippique inique », aux compagnies de transport… Si lui est né dans l’un des ovaires de Rose, à l’instar du cancer maternel qui y a commencé sa croissance mortifère (« les Grecs disaient que le plus grand bonheur qui puisse échoir à un homme, c’est de ne pas être né. – Nous avons eu la poisse. »), c’est bien la planète tout entière qu’il s’agit de purger de cette humanité tumorale qu’il voue aux plus atomiques des gémonies thermonucléaires. « Boum ! » Cette condamnation de l’espèce humaine se fond dans une langue d’une inventivité toujours renouvelée, faussement naïve, enfantine et maladroite par endroits, agrégeant l’instant d’après les passés antérieurs aux subjonctifs imparfaits, mêlant un déluge de termes médicaux à des dizaines de noms de chevaux, déconstruisant la syntaxe afin de mieux faire claquer son vocabulaire tour à tour spécialisé et injurieux, émouvant et cynique, allitératif et badin. Jouant sensément de sa folie, il enfile les répétitions, contaminant sa langue dès lors qu’une expression un tant soit peu atypique apparaît – ainsi l’anglicisme « une couple de », employé à une page, est-il repris systématiquement et de façon bien ostensible à la suivante. À la limite du cri et du murmure, son texte ne cesse de dévoiler, entre violence et bouffonnerie, ce dont il souffre et se moque : sa solitude, sa boulimie de yaourts, ses paris aux calculs aussi complexes qu’infructueux, son impuissance à rentrer dans la chambre de sa mère mourante, restant dans le couloir à lire des revues sur le cancer sans lui parler – sa façon d’aider et d’aimer celle qui exerça sur lui une tutelle de quarante-cinq ans.
« Si Rose était à mes côtés ce jour-là à l’hôpital Booth Memorial, je ne ferais pas de même pour elle quand elle serait dans cette même salle d’urgence le jour de la Fête des mères l’année d’après et qu’elle serait, au contraire, passablement proche de son agonie. Nous rentrâmes en taxi, tous les trois, via la rue Principale, l’écouteur stéthoscopique branché à mon magnétophone et dans mes oreilles. »

Guilhem Jambou

Ma mère, musicienne…
Louis Wolfson
Éditions Attila, 301 pages, 19

Tumeur textuelle Par Guilhem Jambou
Le Matricule des Anges n°134 , juin 2012.