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Domaine français Zone féconde

novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138 | par Richard Blin

En tournant autour de Borges et de son univers, Christian Garcin cherche à cerner l’essence même de la littérature.

Sans être l’écrivain le plus proche (c’est Kafka) ou l’écrivain « indépassable » (c’est Faulkner), Borges (1899-1986) est pour Christian Garcin le grand intercesseur, celui qui lui a révélé la magie dont pouvait procéder la littérature. Ce Borges, de loin est sa façon de lui rendre hommage, de payer sa dette, de détisser un peu la relation quasi organique qui le lie à lui, de revenir aussi sur les étapes de ce qui fut autant une initiation que la découverte du sésame qui lui a ouvert les portes de l’écriture.

Le règne de l’incertitude.

Un rapport à Borges qui a été et reste aussi tortueux qu’indirect. D’abord parce que Garcin a commencé à le lire bien longtemps après en avoir eu l’intention et « uniquement après avoir pris connaissance d’un commentaire concernant un passage d’une traduction qu’il avait supposément falsifiée », et ensuite parce qu’il ne peut en parler qu’à côté, qu’en-dessous, qu’infiniment près ou infiniment loin, « en une sorte de plurifocalité simultanée semblable à celle qui, sous la dix-neuvième marche d’un escalier quelque part à Buenos Aires, révèle au narrateur de « L’Aleph » l’indicible mystère du monde et du temps ». Car avec Borges, c’est le Mystère de la littérature que découvre Christian Garcin, la récurrence fatale des événements de l’histoire, la répétition des signes du sort, l’inconsistance spectrale du moi – ce mélange d’ombre, de rêve et de fable. Et une conception de l’émotion esthétique qui tient à une révélation qui ne se produit jamais, qui reste imminente, fuyante, insaisissable.
Ce règne de l’incertitude, ce sentiment que toute chose est illusoire, Borges les a systématisés dans son œuvre, développant toute une mythologie personnelle faite de labyrinthes et de miroirs, de tigres et d’ancêtres guerriers, de cryptographie et de trompe-l’œil. Anachronisme délibéré, enchâssements vertigineux de commentaires et de signes, symétries cachées, reflet de reflets, l’univers, avec lui, devient un théâtre et les hommes des pantins jouant un rôle qui leur a été assigné depuis toujours dans une pièce sans fin. Quant au temps, il est cyclique, à la fois circulaire et progressif à l’image de la spirale, autrement dit tout a déjà été vécu et oublié, exprimé et tu, et la littérature est donc moins une écriture qu’une réécriture, une mutation du même.
Falsifier, altérer les histoires des autres, imaginer des combinaisons autres que celles qui existent, permuter, substituer, mélanger les savoirs – la cosmologie, la métaphysique, l’apologétique, la philosophie, l’exégétique –, combiner le mystique avec le magique et la prodigieuse algèbre des songes, tout en laissant libre cours à l’exercice de sa fantaisie, voilà ce que c’est qu’écrire. D’où l’importance de la bibliothèque, qui contient le monde, bibliothèque dont Borges disait, en parlant de celle de son père, qu’elle avait été le fait capital de sa vie, avant d’ajouter : « La vérité est que je n’en suis jamais sorti. »
Ce traitement esthétique du savoir, la quête de l’intemporel sous le passager, et cette conception de la littérature comme un cycle de formes s’entrecroisant à l’infini, Christian Garcin les a fait siens. Ses romans, ses nouvelles, ses essais, sa poésie même illustrent ces moments où la vie bascule dans l’inconnu, où le temps se compresse, où l’ubiquité règne, où il devient patent que toute connaissance est conjecturale, que les coïncidences, les signes et les symboles semblent conspirer, et que les rêves et les ombres nouent et dénouent les fils d’un canevas aux infinies possibilités. Ce qui fait que lire Borges, lire Garcin, c’est jubiler, c’est entrer dans cette zone d’inquiétante étrangeté où la réalité est indivise et simultanée, où le moindre événement peut avoir des conséquences imprévisibles, où l’idée qu’un lieu, une personne, un instant peuvent être tous les lieux, tous les instants, toutes les personnes, une manière de porter la suspicion à son comble qui enchante notre besoin d’énigme et d’infini.

Richard Blin

Borges, de loin
Christian Garcin
Gallimard, « L’Un et l’Autre », 192 pages, 20

Zone féconde Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°138 , novembre 2012.