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Domaine étranger Les flèches de Kurt

novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138 | par Guilhem Jambou

Réédition d’un aperçu abondant, sensible et polémiste de Tucholsky, figure intellectuelle majeure de la République de Weimar.

Moment d’angoisse chez les riches

L’homme est une créature politique qui aime bien passer sa vie en petits tas. » Parodiant Aristote en une formule railleuse, Kurt Tucholsky résumait ainsi le fertile terreau de ses haines et de son désespoir : l’instinct grégaire de l’homme, « le “meuh” familier et le sentiment de la communauté », remodelé en bellicisme et patriotisme dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. L’œuvre de Tucholsky, dont ce recueil de « chroniques allemandes » ne constitue en somme qu’un dense fragment, est avant tout celle d’un polygraphe engagé contre les tentations antidémocratiques de la toute jeune République allemande, et contre la montée du national-socialisme qu’il pressentait dès 1920 – pour connaître l’homme dans son intimité, la riche préface de Fritz J. Raddatz apporte de bien suffisantes lumières. Vivant la plupart du temps à l’étranger mais sa plume alerte sans cesse tournée vers l’Allemagne, Tucholsky publia plus de trois mille articles et de nombreux tracts et poèmes aujourd’hui réexploités, des chansons populaires aux versions de concours.
À travers ses pseudonymes récurrents (Peter Panter, Theobald Tiger…) et ses pamphlets moqueurs, il ne cessa de dénoncer une justice de classe, pleine d’indulgence pour les forfaits antisémites, mais impitoyable dans la condamnation des dangereux gauchistes – le jury du « procès Harden » n’est guère éloigné de celui de Douze Hommes en colère, sans, malheureusement, la sage présence d’Henry Fonda. Plus encore, c’est un antimilitarisme radical qui éclate dans ces pages, de façon violente et caustique certes, mais aussi sous la forme de poèmes déchirants, tels « La tranchée » et « Mélodie rouge », ou dans la sublime simplicité de « La lampe qui brûle » : « Quand un jeune homme, de vingt-trois ans environ, sera couché par terre à un coin de rue déserté, parce qu’il se débat contre le gaz mortel qu’une bombe a répandu dans la ville – ses yeux sortent de leurs orbites, sa bouche se remplit d’un goût atroce, ses poumons brûlent, il a l’impression de devoir respirer sous l’eau – ce jeune homme lèvera vers les façades, vers le ciel, un regard interrogateur : “Pourquoi ? ” ».

Arrêter la catastrophe.

On comprend alors que son nom figura sur la première liste des citoyens allemands déchus de leur nationalité et que son œuvre fut interdite et ses livres brûlés en 1933. Il est vrai que sa dénonciation permanente des assassinats politiques et ses caricatures répétées du bon républicain tiédasse (« balafres aux joues et cette tête, bien allemande, prescrite par le règlement, de bouledogue prêt à mordre, où se concrétis(e) à merveille un dosage parfait entre le garçon de café et l’assesseur ») n’aidaient pas à lui faire des amis parmi les futurs piliers du IIIe Reich. Tucholsky, dans une irrésistible mais inquiétante série satirique, fait ainsi entendre la voix de M. Wendriner, champion de la cause bourgeoise et représentant de toutes les bassesses et lâchetés : on y suit ce trop banal personnage visitant Paris, trompant sa femme – naturellement volage et dépensière –, recevant des amis, faisant les comptes ou acceptant la dictature. Bien décidé à « arrêter une catastrophe avec sa machine à écrire », comme l’écrira plus tard Erich Kästner, et convaincu que la satire a tous les droits, Tucholsky rédige les articles de foi de la bourgeoisie, à la façon d’un Flaubert ou d’un Bloy, conscient que c’est cette dernière (qu’elle soit juive ou antisémite) qui portera au pouvoir le national-socialisme.
À ces textes de combat se mêlent d’amères réflexions sur le rôle de l’intellectuel : chez les communistes par exemple, une certaine tendance au « snobisme de la main calleuse » empêche de lutter efficacement, ouvriers et écrivains ensemble, contre les dérives nationalistes. La femme – la sienne, celle des amis, celle qui met au monde le soldat – est aussi un thème mineur mais récurrent du recueil, le plus souvent joué sur le mode poétique mais non exempt, comme toujours chez Tucholsky, d’une railleuse lucidité. Seuls deux univers semblent échapper presque entièrement à celle-ci. La France, d’abord, celle du parc Monceau où, « paisiblement assis, (il se) repose de sa patrie » et nous offre la vision d’un pays ouvert et tolérant, à la limite de l’idéalisme un peu naïf parfois (« Merci à la France », « Paris a du cœur »…), mais une terre d’adoption qu’il n’hésite pas à critiquer, ainsi de la place qu’y occupe l’église. La littérature ensuite, car il fut le critique littéraire le plus influent de son époque, notamment avec sa rubrique régulière « Sur ma table de nuit » où il rendit compte de quelques cinq cents livres dont ceux, qu’il admirait, de Kafka, « un écrivain d’une taille peu ordinaire ». C’est cependant malade et désabusé depuis de longues années qu’il écrivit en 1935 à son ami Arnold Zweig, quelques jours avant de mourir – échappant ainsi pour une part à l’accomplissement de ses amères prophéties : « Je suis un écrivain qui a cessé d’être. »

Guilhem Jambou

Moment d’angoisse chez les riches
Kurt Tucholsky
Traduit de l’allemand par Claude Porcell
Héros-Limite, 430 pages, 16

Les flèches de Kurt Par Guilhem Jambou
Le Matricule des Anges n°138 , novembre 2012.
LMDA PDF n°138
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