Trois Américaines à Paris : Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis
Après s’être intéressée directement à Brasillach dans Intelligence avec l’ennemi et à Louis Guilloux, indirectement, dans L’Interprète, c’est à trois femmes qu’Alice Kaplan consacre ce bel ouvrage. Voici trois portraits minutieux pour raconter trois parcours différents – mais qui ont ici pour point commun de passer par la France. Toutes les trois, en effet, séjournèrent à Paris : Jacqueline Bouvier (qui deviendra Jackie Kennedy puis Jackie Onassis) en 1949-1950, Susan Sontag en 1957-1958, Angela Davis en 1963-1964. Sontag y vint, délibérément, en solitaire : elle laissa derrière elle un mari épousé trop tôt et un enfant, elle vécut à Paris avec la femme qu’elle aimait – le divorce suivrait son retour. Les deux autres jeunes filles participaient à un séjour d’études universitaires. Toutes trois étaient encore dans l’âge des possibles, et ces trois récits sont donc des récits d’apprentissage. Nous voyons Jacqueline Bouvier découvrir une France encore marquée par la guerre, s’enthousiasmer pour la culture française – elle suit des cours à Sciences-Po, admire Jouvet au théâtre – et fréquenter l’aristocratie parisienne. Nous suivons Sontag dans l’exploration de sa propre sexualité, et admirons la curiosité intellectuelle multiforme qui caractérisera toujours, ultérieurement, son itinéraire intellectuel. Les pages les plus passionnantes sont peut-être celles qui sont consacrées à Angela Davis : de l’adolescente confrontée à la ségrégation dans le Sud profond où elle est née, à Birmingham en Alabama, à l’activiste révolutionnaire qui entretient des liens fidèles et fructueux avec Jean Genet, nous découvrons une femme au caractère trempé, pour qui la France demeurera un point fixe, une source où puiser une énergie intellectuelle – dans le souvenir de cette année de l’éveil, que représenta, pour elle aussi, ce séjour.
C’est au cœur du Quartier latin, dans un appartement proche de celui où vécut Djuna Barnes, autre exilée américaine, auteur du mythique Bois de la nuit, qu’Alice Kaplan, dans un français précis et enjoué, a répondu à nos questions.
On pourrait s’étonner qu’une même universitaire s’intéresse d’un côté à Brasillach et de l’autre à Angela Davis. Pouvez-vous nous expliquer cette sorte de grand écart ?
Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils ont tous deux subi un procès passionnant. Pour le procès Brasillach, ce n’était pas seulement Brasillach qui m’intéressait, je voulais savoir par exemple qui étaient les jurés, qui était le procureur, qui était la défense, qui était le public. Angela Davis, elle, est très célèbre pour le procès qui a eu lieu en 1970-1971, et c’était pour moi un peu un mystère : est-ce que j’allais pouvoir lier ce procès à sa relation avec la France ? Finalement oui – au point où sa défense en est venue à parler de Proust ! Ils ne sont donc pas, sur ce plan, aussi éloignés qu’on pourrait le penser.
Le point commun c’est aussi la volonté de rendre compte d’itinéraires intellectuels...