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Théâtre Effleurer les vies

janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139 | par Etienne Leterrier-Grimal

Intimiste et discrètement loufoque, le théâtre de Matei Vişniec joue à se faire risible pour mieux poser ses questions délicates.

Lettres d’amour à une princesse chinoise - Et autres pièces courtes

Auprès de l’empereur de Chine, deux entreprises d’ornementation florale rivalisent de phraséologie pour convaincre le Grand Ordonnateur du mariage de la princesse de les prendre pour décorateurs attitrés. Les positions s’affrontent, sous couvert de burlesque : idéalisme floral contre matérialisme ornemental, cosmopolitisme contre nationalisme botanique, tradition horticole et techniques génétiques innovantes… les argumentaires adverses excitent la rhétorique en prenant les fragiles pétales de roses, d’œillets de rhododendrons comme d’ironiques prétextes et sources de troublants aveux : « Nous, la Maison florale Han Kan Tzi, nous tenons à prévenir Sa Majesté qu’avec chaque fleur importée de l’étranger est aussi introduite dans notre pays une idée étrangère à notre âme. Ces fleurs importées d’ailleurs, et surtout d’Europe, ne sont jamais innocentes. Elles cachent toujours un message empoisonné qui peut troubler notre peuple ».
À l’en croire, Matei Visniec a conçu comme de petites énigmes chacune des huit petites pièces des Lettres d’amour à une princesse chinoise. Qu’elles racontent l’histoire d’une gare où des voyageurs dans la pluie attendent un train qui ne vient pas, ou celle d’un sculpteur de falaise qui pense à une existence antérieure minérale, qu’elles mettent en scène un repas avec la mort ou l’étreinte passionnée de deux amants, toutes se fondent sur un secret originel qui constitue la clef du sens. Que ce secret vienne à être levé, que le sens vienne à être élucidé, et aussitôt, l’édifice des dogmes vacille. Ici, la certitude n’est utile que tant qu’elle laisse place à la fissure ou au doute. Ce principe qui est à la fois une poétique et une dramaturgie, parvient du même coup à dépeindre les idées les mieux reçues sous des couleurs burlesques. Ce n’est sans doute pas un hasard : Matei Visniec, qui a grandi et commencé à écrire sous la Roumanie de Ceauşescu, porte encore les stigmates d’un imaginaire à l’irrévérence très « années 50 » : « Les deux hommes et la femme, debout dans la baignoire, l’air solennel, comme s’ils étaient dans un bateau qui se dirige vers l’avenir, chantent une chanson révolutionnaire. Chacun tient dans ses mains un yaourt ».
Traduit en termes individuels, le théâtre de Matei Visniec interroge aussi la nature du sentiment. L’homme et la femme de Comment j’ai dressé un escargot sur tes seins jouent à la fois la rencontre amoureuse et le questionnement poétique, notamment lorsque l’homme décide d’extraire son cœur tout palpitant de sa poitrine et de le considérer comme un tiers : « Entre vous et mon cœur, chère madame, il se passe quelque chose de très fin, de très malin, de très bizarre, de très inhabituel, quelque chose d’irrationnel, quelque chose d’impossible et d’improbable, quelque chose qui dépasse mon entendement. » Ces jeux de la parole en scène constituent autant de poèmes en prose joués, qui semblent parfois soufflés depuis la coulisse par un Tardieu, un Ionesco, un Kafka, un Michaux, et rappellent l’érotisme teinté d’incongruité des surréalistes.
Pas d’actualité, donc, ce théâtre qui convoque autant de grands modèles ? Au contraire, nous dit l’auteur. Sous les énigmes qu’il pose comme une série de devinettes, il entend libérer l’érotisme de la vulgarité moderne qui l’étouffe en voulant tout accélérer, peindre la Chine comme ce grand mystère tour à tour exotique, attirant, ou menaçant qu’elle semble parfois être parfois, ou « s’interroger sur ce que signifie la tendresse et sur son rôle philosophique dans l’existence de l’humanité ». À travers ces paraboles successives, les bribes de réponses sont délivrées au hasard, pour qui veut les voir et les noter, ou en éprouver simplement la poésie, comme pour cette définition de l’amour, cueillie au détour d’une page : « une blessure qui (a) quelque chose d’un miroir ».

Etienne Leterrier

Lettres d’amour à une princesse chinoise
Matei Visniec
Actes Sud-Papiers, 96 pages, 13

Effleurer les vies Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°139 , janvier 2013.
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