Autour du XIIe siècle, à la fin de la dynastie des Song, non loin du fleuve Jaune, au nord-est de la Chine : là, un certain Song Jiang se tint à la tête d’une armée de brigands généreux qui ébranla le pouvoir de l’Empire. Longue et complexe, l’histoire de cette célèbre épopée chinoise et de ses différentes versions est ici exposée dans un livret à part : pour aller vite, Au bord de l’eau naquit au XIVe siècle et ne cessa d’être gonflée ou amputée selon les nécessités de l’Histoire. Fei a choisi de reproduire la version des Éditions des Beaux Arts du Peuple de Pékin – presque 4000 pages, 16 adaptateurs, 36 illustrateurs – dans le format lian huan hua (dessin en haut, texte en bas) : 30 petits livrets rectangulaires bien rangés dans un coffret bleu de toute beauté.
Si épopée veut dire amplification de tout, nous y voilà – à fond. Jusqu’aux tomes 13-14, on fait la connaissance des « braves » les plus fameux qui vont peu à peu grossir les rangs du Mont Liang, refuge et forteresse de brigands où chacun a une bonne raison de se retrouver du côté des hors la loi : un caractère un peu entier, un meurtre commis sous le coup de la boisson, une erreur de parcours, ou alors, quand cela ne suffit pas, une machination fomentée par le Mont Liang lui-même, qui n’hésite pas à tuer femme ou enfant pour contraindre les récalcitrants. Puis, à partir des tomes 15-16, la tempête se lève : ce sont des armées de 5000, puis 100000, puis 130000 hommes, des chevaux, des bateaux, des combats sur tous les fronts, mais aussi des ruses, de la stratégie, des corps à corps à cheval, sur terre et sur mer, des haches, des armes plus tranchantes les unes que les autres. Les héros gagnent à tout, on les craint, on les admire. Et puis, allez savoir pourquoi, ils se fatiguent, se rangent des palanquins. Graciés par l’Empereur, ils se mettent à son service, et c’est la débandade, certains finissant même par se suicider.
Quand on ferme le tome 30, on n’est pourtant pas rassasié. Quelque chose retient ici. Les images ? En noir et blanc (sauf les couvertures), chacune constitue un tableau en miniature, et l’un des coups de génie est de faire se succéder un grand nombre d’illustrateurs, chacun par son trait apportant sa part singulière d’imaginaire, ce qui conjure la lassitude qui pourrait naître de l’accumulation des petits dessins. Du point de vue des lieux et des protagonistes, c’est la même variété – maisons de thé, tavernes (beaucoup), marais, citadelles, forteresses, lupanars, et cette multitude brutale et courageuse du Mont Liang parmi laquelle s’imposent quelques figures mémorables, ainsi Li Kui la tornade-noire de bout en bout magistral d’impulsivité et de fidélité, Wu Yong le tacticien hors pair, Lu Zhi Shen le bonze tatoué, ou encore Vipère-d’une-toise, ardente guerrière que Céline Minard a récemment embauchée pour sa Bastard Battle – car le combat continue.
Gilles Magniont
Au bord de l’eau
Collectif
Traduit du chinois par Nicolas Henry et Si Mo
Éditions Fei, coffret de 30 livrets, 3776 p., 79 €
Textes & images Au pays des bandits
janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139
| par
Gilles Magniont
Une magnifique édition d’Au bord de l’eau renouvelle nos noces de sang avec le récit d’aventures.
Un livre
Au pays des bandits
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°139
, janvier 2013.