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Chroniques Chronique en apesanteur

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143

La toute première injection m’a littéralement collé au plafond. J’écris cette phrase et je souris de son ambiguïté. Il faut pourtant la prendre au mot : l’injection est l’instant de chute libre lors de la parabole décrite par l’avion. C’est la seconde précise où la gravité s’annule. L’impesanteur.
J’étais allongé au sol, dans la zone de free floating capitonnée et fermée par un filet, la parabole débute lorsque l’airbus A300 modifié cabre vers le ciel. Il s’incline à 30, puis 40, puis 47° vers le haut. Le corps subit une hyperpesanteur de 1,8 G. Durant cette vingtaine de seconde, je pèse 145 kilos ; la sensation n’est pourtant pas celle d’un poids phénoménal, je me sens aimanté, tiré vers le bas par une main invisible. J’ai suivi les conseils du médecin, je ne bouge pas la tête pour éviter toute compression qui produirait des vertiges ou des nausées. Puis le pilote annonce l’injection. Je m’étais préparé, j’avais lu des témoignages, j’avais sagement écouté le briefing, j’avais parlé avec ceux qui ont déjà volé. Je m’étais préparé et je n’étais pas prêt. J’ai poussé un cri, j’étais au plafond comme le ballon d’une fête foraine, flottant sans rien pouvoir contrôler, paradoxalement conscient d’avoir un corps inchangé mais libéré de toute pesanteur.
Très vite, trop vite, le pilote a annoncé 20°. Cela veut dire que l’avion piquait déjà vers le sol. Quelques secondes plus tard, nous en étions à 30°, soit à peine deux secondes avant la ressource : le retour au 1,8G, le passage du zéro gramme au 145 kilos. Je n’avais qu’une seule obsession : placer mes pieds vers ce que j’identifiais encore comme étant le bas.
La chute est lourde, sans heurt. J’ai de la chance, je suis grand : en poussant avec les mains, je parviens à orienter mon corps. Je me sens euphorique, j’entends les chocs de ceux qui retombent plus maladroitement, je vois les habitués : le personnel de Novespace. À peine ils ont volé ; en souplesse ils sont redescendus. L’euphorie ne me quitte pas. J’attends la prochaine parabole. J’en veux encore.

Depuis quelques années, je participe au travail éditorial mené par l’Observatoire de l’espace, la cellule culturelle du Centre National d’Études Spatiales. C’est l’Observatoire qui offre ponctuellement la possibilité à des auteurs de participer à un vol. J’avais postulé, j’ai été sélectionné, j’ai volé le mercredi 27 mars 2013 en compagnie d’équipes scientifiques, d’astronautes à l’entraînement et d’autres troubadours comme moi. En roulant vers Bordeaux, j’étais heureux que le vol parte de la ville où je suis né. J’aime bien transformer les hasards en signes. C’est à Bordeaux que mon imaginaire s’est développé. C’est ici qu’à Noël j’ai reçu les albums de Tintin où j’ai découvert qu’une bulle de whisky pouvait s’élever d’un verre pendant que le buveur flottait à sa suite. Ai-je posé des questions aux adultes ou ai-je simplement cru qu’il s’agissait d’une invention de l’auteur ? une fantaisie comme il est fantaisiste qu’une souris parle.
Adolescent, le retour à Bordeaux a coïncidé avec ma découverte de la science-fiction. J’ai lu les classiques de l’âge d’or américain. J’ai lu des textes écrits par des auteurs qui étaient des scientifiques de formation, qui inventaient des histoires étranges où le principe de réalité restait très fort. Tout ceci restait de la littérature, jamais l’objecteur de conscience que j’ai été n’aurait imaginé voler en vrai. Je ne veux pas rester dans la triste zone hôtelière de l’aéroport, je demande asile en centre-ville aux éditons de l’Attente, je veux voir la ville où j’ai commencé à rêver.

La seconde parabole, je la passe à maîtriser mon vol : je ne bouge pas lors de l’injection et pourtant je décolle de nouveau. J’apprendrai que l’avion passe par une microseconde de gravité négative. Ensuite, le corps conserve la moindre impulsion. Je vole, je vois voler mon badge, je me fais marcher sur le visage et j’en ris.
Le vol parabolique consiste à enchaîner trente et une paraboles par groupes de cinq, avec des temps de cinq à huit minutes entre deux séries permettant aux chercheurs de préparer les prochaines expériences. J’avais demandé une dose minime de scopolamine : si la molécule réduit le mal des transports, elle endort les sens. Je suis ma propre expérience, je veux être totalement conscient de mes sensations.
Passées les premières paraboles, je me sangle au sol. Tout à ma joie, j’en oublie d’écouter ce qui se passe dans mon corps. Avant le vol, j’avais écrit un texte sur les sensations que j’aurais, en me basant sur les documentaires et films que j’ai pu voir. Je voulais décrire l’impesanteur avant de l’avoir vécue, frotter l’imagination au réel. Revenaient les mots ivresse, vertige et douceur. Et je me demandais comment injecter de la légèreté dans mes mots, comment les gonfler à l’hélium pour les faire danser mollement au-dessus de nos têtes, artificiellement libérés de la pesanteur, condamnés dès l’envol à retomber au sol, à perdre leur légèreté, à chuter. La question aussi était celle du corps : que reste-t-il du corps lorsqu’il est dépouillé de son poids ?
L’expérience répond à cette interrogation : le corps est bien là. Il ne change pas. La sensation que l’on possède de nos corps n’est pas celle du poids mais bien celle de la masse. À zéro gramme ou à 150 kilos, mon corps n’est en rien modifié. Il est soumis à des forces extérieures. L’ivresse – par contre – je la ressens. La douceur aussi. Aucun vertige pour ma part. Ce que j’avais sous-estimé, c’était ma sensation de bonheur. Voler provoque en moi un grand court-circuit émotionnel : comme si j’avais volé dans le temps, à l’époque où – enfant – je regardais les étoiles avec le grand frisson de l’inconnu.
Je ferme les yeux, je ne me sens plus voler (comme on peut se sentir tanguer après un séjour sur un bateau), la sensation est pourtant en moi, elle niche dans mon esprit et m’offre une sacrée dose d’air frais. Il est certain qu’un personnage volera dans un de mes prochains romans.

Éric Pessan

Chronique en apesanteur
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
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