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Domaine français Chemin faisant

juin 2013 | Le Matricule des Anges n°144 | par Richard Blin

En mettant ses pas dans ceux de moines irlandais du VIe siècle, Daniel de Roulet confirme que marcher est une vieille façon d’écrire.

Il y a différentes manières de marcher, celle des écrivains, des philosophes ou des pèlerins, et puis il y a celle de Daniel de Roulet, un marcheur qui est aussi un coureur, auteur d’une Esthétique de la course (Virgile, 2010). Mais pas seulement. Né en 1944, à Genève, cet écrivain suisse de langue française a commencé par s’intéresser à la littérature puis s’est passionné pour l’architecture avant de gagner sa vie en tant qu’informaticien dans une centrale nucléaire, pour finalement constater que sa vraie vocation était bien l’écriture. Il a 47 ans quand il publie son premier livre. Depuis, une vingtaine de titres ont suivi dont une saga nucléaire comportant dix tomes, et récemment un essai, Tu n’as rien vu à Fukushima, sans oublier L’Envol du marcheur (Labor et Fides, 2004) retraçant une marche entre Paris et Bâle, sur les traces du beau-père de Boris Vian, qui avait documenté ce voyage en 1965.
Aujourd’hui c’est sur les traces de saint Gall et de ses moines venus d’Irlande à la fin du VIe siècle pour évangéliser notre pays qu’il nous entraîne. Pour fêter le mille quatre centième anniversaire de cette pérégrination légendaire, quelques amis et lui ont décidé de refaire le trajet qu’ils suivirent depuis l’Irlande jusqu’à l’abbaye de Saint Gall, en Suisse. Mais en se répartissant la tâche, et en se passant le relais. Pour sa part, il a à parcourir les six cents kilomètres qui vont de Saint-Coulomb – la plage, près de Saint-Malo, où les moines sont censés avoir débarqué – à Soissons, ville où il passera le relais aux suivants. Mais lui a choisi de voyager seul. « Sentiment de plénitude. Marcher seul, sans avoir à se préoccuper de converser avec un autre, sans négocier ni son rythme ni son parcours, sans se confronter aux désirs d’un compagnon de route, sans interrompre le cours de sa propre réflexion, fût-ce par une simple exclamation : « Quelle vue, tu ne trouves pas ? – Oui, peut-être, mais je pensais à autre chose. » »
Vingt-cinq jours de marche, avec un arrêt de cinq minutes toutes les heures « pour déposer le sac et boire une gorgée d’eau ». Vingt-cinq jours pour voir le monde sans œillères, mais surtout suivre les traces d’un autre, essayer de retrouver ce que voyaient ces moines et « le mettre en rapport » avec ce qu’il voit lui, aujourd’hui. C’est l’écoulement du temps qui fascine Daniel de Roulet, car il sait bien que tout a changé, sauf le ciel. « Le ciel, mon cher Gall, est ce qui nous relie. Ces nuages, nous les avons en commun. » Mais là où Gall portait sur lui tout ce qu’il possédait – « Pas d’autres livres, pas d’autres vêtements que ceux qu’il emportait » – notre marcheur, avec sa carte de crédit et son téléphone à tout faire, n’a emporté que le nécessaire. « Lui a pris l’essentiel. Pèlerins du XXIe siècle, nous sommes des imposteurs, ce que nous appelons l’essentiel n’est que le nécessaire. Pour nous, le voyage est parenthèse. Pour Gall et ses collègues, la parenthèse prenait toute la page, l’inconnu durait plus que le temps du voyage. »
Journal de bord de ce périple, Légèrement seul se situe aux antipodes du tourisme pédestre « garantissant l’émerveillement balisé ». « Je marche sur des routes qui relient un point à un autre. » La réalité ici est celle de la monotonie de la marche, de l’agressivité des chiens, de la difficulté à traverser ronds-points ou embranchements d’autoroute sans oublier toutes les fois où il faut se précipiter dans le fossé pour ne pas être fauché par une voiture. Et puis il y a la pluie, les crampes, le sac soudain trop lourd, mais la joie aussi de découvrir une ancienne voie romaine, de traverser le village où naquit André Breton ou de dormir en face de la maison où habita Delphine Delamare, alias Emma Bovary. Plaisir encore de marcher dans les paysages de Flaubert, de retrouver, au Havre, le marronnier « face auquel le héros de La Nausée a découvert la nudité de l’existence qui fonde l’existentialisme » – un marronnier qui n’était qu’un platane, Sartre ne connaissant rien aux essences d’arbres : « Après la guerre seulement, on a planté un marronnier sur le square Saint-Roch. » Bonheur encore d’éprouver, à Étretat, face au ciel, à la mer et à la falaise percée, un de ces grands moments où le marcheur « reste les bras ballants au milieu du déjà-vu, déjà peint, mais si nouveau tout de même ».
Une écriture épurée, qui conjugue la lucidité – « Il est passé le temps du charme désuet de la bourgade, de la mélancolie des sous-préfectures. Ne subsistent que le manque, la lourde pesanteur de la pauvreté. » – à la nostalgie tant les conditions du voyage ont changé depuis On the Road ou L’Usage du monde. Aujourd’hui « la route est confisquée », comme s’il s’agissait de signifier au marcheur – cet être qui vit à contretemps, à contre-pied des impératifs de communication et d’urgence de nos sociétés – que son temps est fini.

Richard Blin

Légèrement seul
Daniel de Roulet
Phébus, 160 pages, 12

Chemin faisant Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°144 , juin 2013.
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